Il niait jusqu'ici son implication. Un homme de 39 ans a avoué, dans la nuit de samedi à dimanche, être à l'origine du feu qui a détruit le 18 juillet le grand orgue, une partie des vitraux et un tableau du XIXe siècle dans la cathédrale de Nantes (Loire-Atlantique). L'homme est «apeuré» et «dépassé» mais «soulagé d'avoir dit la vérité», affirme Quentin Chabert, son avocat. Il évoque «un long chemin intérieur» et «sa foi, qui a sans doute eu une influence» dans l'aveu de son client. Après son arrestation à 6 h 15, samedi matin, Emmanuel A. a passé la journée en garde à vue et s'est finalement confié au juge d'instruction chargé de l'affaire. Il a été mis en examen et écroué dans la nuit. Le parquet de Nantes «a ouvert une information judiciaire des chefs de dégradation, détérioration ou destruction du bien d'autrui par incendie et requis la saisine du juge des libertés et de la détention aux fins de placement de l'intéressé en détention provisoire», indique le procureur Pierre Sennès.
Originaire du Rwanda, Emmanuel A. vit à Nantes depuis plusieurs années. Bénévole, connu et apprécié, au sein de la cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul, il était chargé de fermer l’édifice la veille de l’incendie.
«Reproches»
Depuis son arrivée en France, il demande un statut de réfugié. «Il avait également des problèmes de santé physique et a essayé de faire régulariser sa situation en raison de cet état de santé», rapporte le procureur de Nantes, interrogé par Ouest-France. Ses demandes ont été rejetées et il fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français depuis 2019. Le matin de l'incendie, il a envoyé un mail à tout le diocèse et aux autorités administratives, dans lequel il «se plaignait fortement de sa situation administrative». «Il y exprimait des reproches auprès de différentes personnalités, considérant qu'il n'était pas soutenu et qu'on ne l'aidait pas assez dans ses démarches», selon Pierre Sennès. C'est ce qui a mis les enquêteurs sur sa piste.
D'après les premières investigations, les policiers, notamment les agents du laboratoire de la préfecture de police de Paris dépêchés sur place, identifient trois départs de feu différents - l'un au niveau de l'orgue et deux de part et d'autre de la nef. Pourtant, ils ne constatent aucune trace d'effraction. La piste criminelle est alors envisagée mais la possibilité d'une défaillance électrique est aussi évoquée. Quelques heures après l'incendie, le 18 juillet, Emmanuel A. est placé en garde à vue. Mais il est relâché sans poursuite le lendemain soir. Les enquêteurs estimaient à ce moment-là «qu'il n'y avait pas d'éléments à charge suffisants pour engager les poursuites», dit Pierre Sennès. Ils constatent néanmoins qu'«un certain nombre d'éléments étaient divergents par rapport à ce qu'il nous avait déclaré».
Allers-retours
Depuis, des analyses du laboratoire de la préfecture de police de Paris ont donc permis de détecter des résidus d'hydrocarbure dans les décombres : «Un produit inflammable, qui pourrait avoir été utilisé pour allumer l'incendie.» Grâce à des «caméras installées aux alentours de l'édifice», les enquêteurs confirment la présence de l'homme dans le secteur de la cathédrale à l'heure où le feu s'est déclaré. Sur les images de vidéosurveillance, on l'aperçoit sortir de l'édifice dix minutes après le premier appel aux pompiers. On l'y voit également faire des allers-retours entre son domicile et la cathédrale, alors qu'il avait assuré aux policiers ne pas y être retourné.
Malgré ses aveux, l'homme demeure mystérieux sur ses motivations. Très impliqué dans la vie du diocèse, Emmanuel A. avait la confiance des instances ordinales, qui peinent encore à réaliser qu'il est bien le protagoniste du désastre. «Le juge d'instruction devra ordonner une expertise psychiatrique. C'est une étape indispensable pour en savoir un peu plus sur ses motivations et son état d'esprit», estime le procureur. Son avocat, Quentin Chabert, affirme qu'il est «coopérant» et appelle à un «apaisement pour que la justice soit rendue sereinement». Emmanuel A. risque dix ans de prison et 150 000 euros d'amende.