L'affaire ne fait pas un pli : le secteur de l'habillement est frappé de plein fouet par la crise économique liée au Covid-19. L'annulation des fashion weeks, réduites à une version numérique, en a été la preuve la plus spectaculaire - la mode privée de sa vitrine la plus rutilante, en écho aux magasins à rideaux baissés. Un sondage d'Euromonitor International révélait en juin que près de 40 % des entreprises du secteur s'attendaient à un impact sur leurs revenus «bien pire» que celui de la crise de 2008.
Orage
Dans ce contexte de sinistrose, le Covid a porté l'estocade aux enseignes qui tanguaient déjà : Camaïeu, Naf Naf ou André en font partie. Des marques qui n'ont pas réussi à frayer leur chemin dans l'univers hyperconcurrentiel de la fast fashion (mode éphémère) qui exige à la fois identité très forte, réactivité et cohérence.
«Camaïeu, Naf Naf ou André sont des marques populaires dans les années 80, aux noms très années 80, qui ont diversifié leur offre, l'ont élargie aux bijoux, parfums, cosmétiques, mais qui n'ont pas ciblé leur clientèle, ni affiné leur style», pointe Audrey Millet (1), chercheuse associée au laboratoire Institutions et dynamiques historiques de l'économie et de la société au CNRS.
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Plus solides, les géants de la fast fashion mondialisée trinquent aussi, car touchés au cœur de leur ADN : la production de masse, qui permet les prix bas, suppose l’achat en masse… Malgré le boom des achats en ligne pendant le confinement, les chiffres ont confirmé l’orage. Au premier trimestre, le leader du secteur, l’espagnol Inditex, propriétaire de Zara, a essuyé sa première perte nette depuis son entrée en Bourse en 2001, avec 409 millions d’euros en négatif. Au deuxième trimestre, son concurrent suédois H & M a accusé une perte nette de 477 millions d’euros, contre un bénéfice de 4,6 milliards pour la même période un an plus tôt. Les poids moyens comme Gap et Uniqlo ont aussi souffert. Or il est peu probable que l’«effet rebond» lié au déconfinement s’avère suffisant pour limiter la casse : rattrapée par sa stratégie du réassort frénétique pour coller à la tendance, la fast fashion a fait assaut de soldes anticipées et autres prix hypercassés pour écouler la marchandise invendue, ce qui réduit d’autant les marges.
Offre
Si certaines enseignes, tels Zara ou H & M, s'en tirent un peu moins mal, c'est notamment parce qu'elles fonctionnent avec des commandos de stylistes toutes antennes déployées mais pas seulement aptes à la copie. «Ils cultivent leur ADN, souligne Audrey Millet. Et ils utilisent la high-tech à plein : chez Zara, les vendeuses ont un appareil pour informer le siège au jour le jour sur ce qui marche ou pas. L'offre est adaptée en permanence.» Pourquoi Primark monte en flèche ? «En raison du prix. C'est le Tati de la grande époque mais tendance, alors que Camaïeu est bien plus cher sans proposition particulière de style ou de qualité.» La fast fashion a affûté le consommateur, par ailleurs de plus en plus regardant sur les conditions de fabrication et attiré par le recyclage. Même les marques rescapées du Covid ont du souci à se faire.
(1) Auteure de Fabriquer le désir, Histoire de la mode de l'Antiquité à nos jours (éditions Belin).