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Libération
Abus sexuels

Affaire du nonce Ventura : un procès historique à Paris

Soupçonné d'agressions sexuelles, l'ancien ambassadeur du Vatican en France sera jugé devant le tribunal correctionnel le 10 novembre. Jamais un tel procès concernant un prélat de ce rang n'a eu lieu hors de l'enceinte du Vatican.
Le nonce Ventura, en 2010 à Lourdes (Hautes-Pyrénées). (REMY GABALDA/Photo Rémy Gabalda. AFP)
publié le 28 juillet 2020 à 15h53

La nouvelle est tombée un peu avant la trêve judiciaire. Soupçonné d'agressions sexuelles, l'ancien nonce en France Luigi Ventura, qui réfute les faits, sera jugé le 10 novembre, devant le tribunal correctionnel de Paris. «C'est un procès historique qui se tiendra, souligne Me Antoinette Frety, avocate de l'un des plaignants. Le combat a été difficile pour les victimes. C'est déjà une grande satisfaction pour elles que le procès ait lieu.»

De fait, il est très rare qu'un diplomate fasse l'objet de poursuites hors de son pays d'origine. «Voir un ancien ambassadeur à la barre fera du bruit, déclare Me Jade Dousselin, l'avocate de Benjamin Guy, un autre plaignant. La justice française a eu le courage d'aller jusqu'au bout. Pour les victimes, c'était le combat de David contre Goliath.»

Cinq plaignants face au prévenu

Pour le moment, cinq plaignants ont été convoqués à l'audience du 10 novembre, selon des informations recueillies par Libération. Ces derniers jours, il y a eu un peu de flottement et quelques interrogations parmi les avocats de la défense. L'un des protagonistes du dossier n'avait pas reçu de convocation pour le procès. Sollicitée par Libération, la porte-parole du procureur de Paris a assuré que cet ancien cadre de la mairie de la capitale figurait bien dans la liste. Dans sa plainte, ce jeune homme racontait une agression subie lors d'une réception officielle à l'hôtel de ville de Paris en janvier 2019 : «[Le nonce] a retiré sa main de mon bras puis l'a glissée par-dessous ma veste. Il m'a alors touché les fesses comme s'il me caressait.» 

Face à l'ex-ambassadeur du Vatican, un jeune séminariste du diocèse de Créteil qui a été contraint d'abandonner le cursus qui devait le conduire à devenir prêtre après avoir déposé plainte, en février 2019. Le jeune homme, selon les informations recueillies par Libération, avait signalé les faits qui se seraient produits à Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne) en décembre 2018, en marge d'une cérémonie religieuse, à son évêque Michel Santier et à des responsables du séminaire où il étudiait. Hospitalisé après avoir été atteint par le Covid-19, l'évêque a récemment démissionné de son poste, officiellement pour des raisons de santé.

Un diplomate français est également cité parmi les plaignants. En ce qui le concerne, les faits se seraient produits en décembre 2018 à Biarritz.

D’autres jeunes hommes, notamment des journalistes travaillant dans des médias catholiques, avaient fait état, fin 2018, d’une conduite déplacée du nonce à leur égard, alertant des responsables de l’Eglise catholique. L’un des prélats ayant reçu des confidences a récemment été muté au Canada.

«Il ne s’agissait pas d’un complot»

Pour sa défense, celui qui représentait le Vatican en France a régulièrement invoqué l'existence d'un «complot» contre lui. «L'enquête menée par le procureur a été longue, souligne Me Frety. Finalement, il a estimé qu'il y avait suffisamment d'éléments pour renvoyer le nonce Ventura devant le tribunal correctionnel et donc qu'il ne s'agissait pas d'un complot.»

Luigi Ventura a regagné Rome en septembre 2019 et s’est installé dans un immeuble où résident d’anciens diplomates du Vatican, à quelques centaines de mètres de la place Saint-Pierre. Atteint par la limite d’âge trois mois plus tard, il a alors officiellement démissionné de ses fonctions.

Son successeur, Celestino Migliore, en poste jusqu'alors en Russie et en Ouzbékistan, a pris officiellement ses fonctions dans la capitale française le 5 mars. A son arrivée à la nonciature, située avenue du Président-Wilson à Paris, l'un de ses premiers gestes a été de se rendre à la chapelle pour y réciter un «Notre Père» en compagnie de la petite délégation qui l'accueillait.

Sa tâche n’est pas facile. Le soupçon plane, de fait, sur l’action de Luigi Ventura au cours de ses dix années passées comme nonce à Paris, l’un des postes les plus convoités de la diplomatie vaticane. Pour le moment, Celestino Migliore consulte et reçoit beaucoup à la nonciature.

Retentissement mondial

Dans ce dossier, l'attitude du Saint-Siège apparaît assez paradoxale. Interrogé fin juillet par des journalistes américains sur ce dossier brûlant, Matteo Bruni, le directeur de la salle de presse du Vatican a précisé que le prévenu réaffirmait «son innocence» et confirmait «sa confiance dans les autorités judiciaires françaises, ayant abandonné son immunité diplomatique dans le cadre de la procédure».

En fait, l’immunité diplomatique, comme le prévoit le droit international, a été levée par le Vatican lui-même, ouvrant ainsi la possibilité à un procès. Son porte-parole a pourtant laissé entendre que la décision était venue de Luigi Ventura en personne.

Outre la décision historique de lever l’immunité diplomatique, le Saint-Siège a aussi renoncé à demander que le diplomate soit jugé par la justice de l’Etat du Vatican. Une option redoutée au printemps par les avocats des plaignants.

C'était la position qui avait été adoptée par le Vatican, en 2013, dans une grave affaire de pédophilie concernant le diplomate polonais Józef Wesolowski. En poste en République dominicaine, il était accusé par les médias de ce pays d'avoir eu des relations tarifées avec des mineurs. Rappelé à Rome, Wesolowski avait été arrêté par la gendarmerie vaticane sur ordre du pape François et placé en résidence surveillée dans l'enceinte du Saint-Siège. L'ancien nonce est décédé le 27 août 2015, avant l'ouverture de son procès.

En juin 2018, un autre diplomate du Vatican, conseiller à la nonciature à Washington, a été condamné à cinq ans de prison pour détention et transmission de matériel pédopornographique. Comme dans l’affaire Wesolowski, le Vatican avait refusé de l’extrader et l’avait jugé lui-même.

Dans l’affaire Ventura, le pape François a choisi de laisser la justice française suivre son cours. Est-ce la forte mobilisation des plaignants et l’implication du parquet de Paris ? Est-ce le résultat de la politique de la tolérance zéro prônée par le pape François en matière d’abus sexuels dans l’Eglise ? Quoi qu’il en soit, le futur procès de Luigi Ventura est une première et devrait avoir un retentissement mondial.

Interrogé par l'AFP, Me Bertrand Ollivier, avocat de la défense, a indiqué que Luigi Ventura serait présent à l'audience. Selon son conseil, le diplomate attendait «cette audience pour défendre son honneur et son innocence».