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Libération
Récit

«Ensauvagement» : LREM tousse, Darmanin assume

Le ministre de l'Intérieur, qui avait repris dans une interview ce terme prisé de l'extrême droite, persiste tout en se défendant d'«ethniciser le débat».
Gérald Darmanin, à l'Assemblée nationale le 8 juillet. (Photo Christophe Archambault. AFP)
publié le 28 juillet 2020 à 22h29

Il avait été prévenu de la tiédeur de l'accueil. Lundi soir, au pot de fin de session organisé dans les jardins du ministère des Relations avec le Parlement, le député LREM Ludovic Mendes avait soufflé à Gérald Darmanin : «Attention, tu vas te faire un peu secouer demain…» Auditionné mardi par la commission des lois de l'Assemblée nationale, le ministre de l'Intérieur a effectivement pu sentir que l'une de ses dernières déclarations avait suscité des réactions diverses dans la majorité. Dans une interview au Figaro de samedi, celui-ci, évoquant «une crise de l'autorité», appelait à «stopper l'ensauvagement d'une certaine partie de la société». «Cela m'a choquée, abonde une députée macroniste en off. S'approprier le vocabulaire de l'extrême droite n'est pas ce dont on a besoin pour la combattre. Il faut rassembler et on ne le fait pas avec des termes insupportables.»

«Ensauvagement» : un mot connoté, que le Rassemblement national a préempté ces dernières années en s'appuyant notamment sur le livre de Laurent Obertone, la France orange mécanique (paru en 2013). La députée et présidente du RN, Marine Le Pen avait organisé en décembre 2018 un colloque à l'Assemblée, baptisé «De la délinquance à l'ensauvagement ?». Le terme a aussi voyagé dans les rangs LR, repris par exemple par Eric Ciotti.

«Ne gâchons pas de bonnes décisions par de mauvais mots»

«Il n'y a pas de sauvages en France, il n'y a que des citoyens», a opposé le LREM Sacha Houlié mardi au ministre de l'Intérieur en commission des lois, déplorant «une sémantique qui nous écarte de la promesse de réconciliation faite aux Français». Et d'ajouter : «ne gâchons pas de bonnes décisions par de mauvais mots.» Le député de la Vienne n'est pas le seul à avoir tiqué sur l'interview. D'autant que cette entrée en matière n'a pas rassuré une partie de LREM, peu enthousiaste à l'idée de voir installé à Beauvau un ancien proche de Nicolas Sarkozy. «Ne reprenez pas les travers de quelque prédécesseur», lui a recommandé le député Rémy Rebeyrotte, le mettant en garde contre les «mots qui attisent, enflamment et fracturent […] En matière de sécurité, le travail de fond s'accompagne souvent de discrétion». Ludovic Mendes dit, lui, partager avec Gérald Darmanin «le constat d'une société de plus en plus violente» mais préfère parler de «radicalisation» : «Le terme d'ensauvagement me pose problème et rappelle des heures sombres de notre pays.»

Informé de l'émoi suscité par ses propos, le ministre de l'Intérieur a pris les devants dès son propos introductif, balayant les «querelles sémantiques» pour renvoyer les députés mal à l'aise à «un monde ouaté», celui «des belles discussions et des beaux quartiers». «Les Français ne vivent pas tous dans le monde d'Alice au pays des merveilles», leur balance Darmanin. Si le mot ensauvagement ne le choque pas, le voilà qui s'insurge en revanche pour une autre formule. «Quand j'entends le mot violence policière, moi je m'étouffe», ose le ministre devant les députés, dans une exclamation douteuse après la mort de Cédric Chouviat.

«Ma mère, mon boulanger comprennent "ensauvagement"»

Mais mardi, Darmanin a aussi reçu des soutiens dans la majorité. Celui de Bruno Questel, signe des divisions qui traversent LREM sur les sujets régaliens. «Vous entendez dénoncer fermement le fait avéré que des individus s'affranchissent des règles républicaines», sous-titre le député de l'Eure qui dresse un parallèle avec l'expression de «sauvageons» employée par Jean-Pierre Chevènement en 1999 qui visait les mineurs récidivistes. Eric Ciotti ne s'est pas non plus privé d'applaudir, ni de rappeler que les deux hommes parlaient de concert, lorsqu'il était venu présider une réunion sur la sécurité en 2014, lors de la campagne municipale à Tourcoing du candidat – à l'époque LR. «Mais je vois que ces mots justes heurtent des collègues de votre majorité», a-t-il savouré.

«Je peux être d'accord sur une partie de vos propos. Moins quand vous parlez d'immigration»,  lui répond Gérald Darmanin, qui donne du «camarade» au député LR. «J'ai lu dans la presse que le mot que j'ai employé avait un lien avec "sauvage", donc avec immigration, donc avec ethnicisation. Je suis à 100 000 lieues de cela», poursuit-il, se défendant précisément d'«ethniciser le débat» et revendiquant un fameux parler-vrai : «Ma mère, mon boulanger comprennent "ensauvagement". Et je ne suis pas sûr que frapper à mort un homme à terre soit un acte de civilisation très avancé.» «Je ne ferai jamais ce lien entre le fait d'être un immigré et de commettre des actes d'insécurité», insiste-t-il. Sans ignorer le bagage sémantique que traîne le terme.