«Julie a été tuée. Sa fille l'a trouvée morte, gisant dans son sang, le 25 juin 2019. Elle a reçu des menaces de mort de son compagnon jusqu'à 23 heures, avant de mourir. Malgré cela, la justice a mis fin à l'instruction en concluant à une "crise de folie". Julie on t'aime. Tant que nous n'aurons pas justice, vous aurez notre colère.» Jeudi soir, une vingtaine de militantes féministes du collectif «collages féminicides» ont prêté main-forte à Inès, 18 ans, fille de Julie, et à la sœur de la victime, Lucie. Elles ont ainsi recouvert un mur montreuillois (Seine-Saint-Denis) de ces mots.
Perches télescopiques, escabeau et brosse en main, les 21 colleuses se réunissent à leur point de rendez-vous, la station de métro Croix-de-Chavaux, à 20h30. Elles retrouvent Lucie, 32 ans, et sa nièce tout juste majeure, Inès. L'organisatrice de l'action, Louise, aussi psychologue à l'association d'accompagnement des femmes et enfants victimes de violences, Women Safe, pointe la direction du mur sur lequel les 180 feuilles seront collées pour demander la réouverture de l'instruction.
«Un an que nous sommes dans le silence»
«Le 15 juillet, nous étions entendues au tribunal de grande instance de Troyes. Le soir même, nous recevions une notification de fin d'instruction après la publication d'un rapport d'expert affirmant que ma sœur est morte des suites d'une crise de folie», déplore Lucie. A La Chapelle-Saint-Luc (Aube) il y a un an, Inès, 17 ans au moment des faits, retrouve sa mère, qui, selon elle, aurait été battue à mort par son compagnon.
De son côté, Isabelle Steyer, l'avocate, dénonce la clôture de cette instruction : «A 38 ans, l'aide-soignante en formation d'ambulancière avait des antécédents de dépression, mais c'est justement ce qui la rendait plus vulnérable face à des hommes dangereux et manipulateurs», explique la juriste, spécialiste des affaires de violences conjugales. Pour elle, «ce déni de justice est révélateur d'une logique dysfonctionnelle qui consiste à utiliser les faiblesses d'une victime pour la discréditer». «Comment peut-on expliquer à la fille de 18 ans d'une victime, que sa mère, qu'elle a retrouvée dans son sang, mâchoire fracturée et dents cassées dans le larynx, s'est fait ça toute seule ?», abonde Me Steyer.
«Un an que nous sommes dans le silence, un an que même nos proches ne sont pas au courant, mais là il faut le dire, il faut pointer cette injustice», s'insurge Lucie, la sœur de la victime. Pour Inès, ce moment est une manière de «partager cette histoire» avec le monde extérieur, mais surtout de rendre justice à sa mère. Pendant que des militantes mettent en place les échelles devant le mur enclavé d'une sortie de parking, Inès est initiée par Elodie, une militante, à la préparation de colle.
«Ce n’est que l’acte I»
En apprenant la décision de la juge, Lucie a choisi de sortir du silence. Prise en charge par l'association Women Safe, elle rencontre Louise, psychologue, et ensemble décident, il y a quelques jours, d'organiser cette action pour se faire entendre, autrement que par les tribunaux. «C'était une façon de les faire sortir de la passivité dans laquelle la justice les avait mises, de passer à l'action», explique Louise. «Plus important qu'une marche, ce soir, c'est notre moment à nous», confie Lucie en souriant à sa nièce qui s'apprête à coller l'avant-dernière ligne du message «Julie on t'aime».
Après trois heures de collage, Lucie et Inès s'emparent d'une brosse chacune pendant que le reste du groupe se met en retrait. Ensemble, elles apposent une par une les lettres de la phrase : «Tant que nous n'aurons pas justice, vous aurez notre colère.» Une fois terminé, l'assemblée applaudit quelques minutes les deux jeunes femmes, qui, en silence, contemplent fièrement ce message de plusieurs mètres de haut. «Si le tribunal refuse de nous entendre, nous passerons par d'autres chemins pour qu'enfin il rende justice à Julie», affirme Lucie, prête à en découdre. «Nous sommes fières de cette soirée, mais ce n'est que l'acte I, notre combat ne fait que commencer», conclut-elle.