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Décryptage

Sécheresse : la France au compte-gouttes

En proie à une sécheresse de plus en plus chronique, de nombreux départements ont pris des arrêtés limitant l’usage de l’eau. Une situation liée à la hausse des températures qui pose de gros problèmes, notamment pour l’agriculture.
Dans l’exploitation agricole les Jardins de Liselotte, à Catillonsur-Sambre (Nord), le 25 juillet. (Photo Aimée Thirion)
par Aurélie Delmas, Aude Massiot et Aimée Thirion, Photos
publié le 2 août 2020 à 19h46

Toulouse, Creuse, Bourgogne… De nombreuses zones ont connu des «pics de chaleur» ces derniers jours, les températures oscillant souvent entre 35° et 40°. Et même si un répit se fait sentir depuis dimanche, avec quelques pluies ici ou là, le mercure devrait remonter encore en fin de semaine. Juillet a été sec partout, et des incendies ont déjà ravagé des forêts des Pyrénées-Atlantiques, du Loiret, du Gard et de l'Ardèche. Depuis le premier arrêté de l'année prévoyant des «limitations provisoires d'usage de l'eau» en Meurthe-et-Moselle le 10 juillet, la situation s'est emballée : on comptait dimanche 68 départements ayant adopté des restrictions sur la consommation d'eau. L'hiver et le printemps ayant été plus chauds que la normale, le souvenir de l'été 2019 et de sa sécheresse exceptionnelle se ravive : mesures limitatives dans plus de 80 départements, ruptures d'approvisionnement de plusieurs mois, communes ravitaillées en eau potable par des citernes et ralentissement ou mise à l'arrêt de réacteurs nucléaires. Chaque année, la situation semble s'aggraver et la pénurie d'eau pendant les mois chauds devient une nouvelle norme.

Indispensable pour la production d'énergie, le fonctionnement des industries, l'agriculture et la vie quotidienne des particuliers, l'eau douce n'est pas une ressource rare dans l'Hexagone. Mais peu à peu, sa disponibilité évolue. La pluie se fait plus rare dans le Sud-Ouest et sur le pourtour méditerranéen depuis les années 50, et les rivières se vident. «L'agence de l'eau Adour-Garonne va publier une étude qui montre une baisse très nette et très forte des débits moyens entre 1972 et 2017 et des baisses encore plus marquées des débits d'étiage [le niveau le plus bas d'un cours d'eau, ndlr]», précise Jean-Philippe Vidal, chargé de recherche en hydroclimatologie à l'Institut national de la recherche agronomique et de l'environnement (Inrae). En parallèle, «une autre étude en cours à laquelle je participe et qui porte sur les Pyrénées françaises et espagnoles met aussi en avant des tendances à la baisse de l'ordre de 30 % en moins sur soixante ans, poursuit-il. Nous sommes par ailleurs en train d'actualiser les données sur l'ensemble de la France qui est un peu coupée en deux selon un axe Bordeaux-Strasbourg. Au sud de cette ligne, on a quasiment partout des baisses significatives qui sont du même ordre de grandeur que dans les Pyrénées».

Quelles sont les zones les plus touchées ?

L'eau est-elle condamnée à devenir de moins en moins accessible en métropole ? On sait en tout cas que les sécheresses sont devenues plus fréquentes. «La fraction moyenne du territoire touchée par une sécheresse a à peu près doublé dans les soixante dernières années», explique Pierre Etchevers, climatologue à Météo France. De 5 % du territoire concerné dans les années 60, on a atteint 10 % en moyenne dans les années 2010. Sur plusieurs sites, les inquiétudes grandissent et des «batailles de l'eau» se font jour : barrage de Sivens (abandonné en 2015 après la mort de l'activiste Rémi Fraisse), nappes souterraines de Vittel, retenues de «substitution» en Sèvre niortaise, digue du lac de Caussade pour laquelle deux commanditaires ont été condamnés à de la prison ferme le 10 juillet… Dans un rapport parlementaire publié en juin, la députée (ex-LREM) du groupe Ecologie Démocratie Solidarité Frédérique Tuffnell considère même que «l'enjeu de la ressource en eau a le potentiel pour devenir, au cours de ce siècle, le point focal des conflits à l'échelle de notre pays, de l'Europe et même de la planète».

Sur le long terme, si les accords climatiques sont respectés et les émissions de gaz à effet de serre limitées (hypothèse peu probable à ce jour), les précipitations en métropole resteront assez stables en quantité d'ici la fin du siècle. Le nord du pays devrait être un peu plus arrosé pendant que la Méditerranée continuera à s'assécher. En revanche, si l'on suit un scénario pessimiste, l'assèchement concernera toute la France et sera encore plus marqué dans le Sud. En parallèle, les débits des cours d'eau «vont continuer de diminuer, de manière bien plus marquée dans le Sud», note Jean-Philippe Vidal.

Quelles sont les causes de ces sécheresses répétées ?

«L'évolution des précipitations n'étant pas très marquée, l'explication vient notamment de l'augmentation de la température qui, elle, est très nette et générale», répond Pierre Etchevers. Car, avec la température, l'évaporation augmente et le milieu naturel n'est plus alimenté. «Ajoutées aux effets d'imperméabilisation des sols liés à l'urbanisation, ces évolutions climatiques freinent la recharge des réserves d'eau souterraines», pointe le récent rapport parlementaire. «Une partie de l'eau qui entre dans le sol repart vers l'atmosphère, et c'est particulièrement net entre février et septembre, les périodes où l'évaporation est intense, notamment du fait de la croissance des végétaux», détaille le climatologue. Les phénomènes de sécheresse sont ainsi d'autant plus perceptibles pendant l'été, car, alors que les ressources sont les plus faibles et que l'évaporation est importante, le secteur agricole utilise plus d'eau. Et avec la hausse des températures, le besoin d'irrigation devrait croître.

D'ici à 2050, on s'attend à un assèchement des sols qui correspondrait «à ce qu'on a connu de plus fort dans les soixante dernières années», alerte Pierre Etchevers. «Pour 2100, on calcule des assèchements moyens qui dépassent les extrêmes observés pendant les soixante dernières années. C'est un peu un plongeon vers l'inconnu.» De son côté, Jean-Philippe Vidal s'attend à «un grand défi pour le territoire français» qui appelle de nécessaires et rapides «choix de société». «Le constat est indéniable : les changements climatiques vont intensifier et aggraver les situations de pénurie d'eau», tranche le rapport parlementaire.

Quel est l’impact sur la pollution des eaux ?

Pesticides, produits chimiques, métaux, matières en suspension… En temps normal, et sous la pression des activités humaines, la qualité des cours d'eau et nappes souterraines français laisse déjà à désirer. Les pesticides et nitrates, issus de l'agriculture, sont les substances qui affectent le plus les écosystèmes. Les nitrates, en particulier, traversent facilement la terre et s'accumulent pendant des années dans les eaux souterraines. «Il arrive régulièrement qu'un captage d'eau potable soit fermé parce que les niveaux de ces substances sont trop élevés, explique Laurence Gourcy, hydrogéologue au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Cette pollution est parfois ancienne car certaines eaux souterraines ne se renouvellent que tous les trente à cinquante ans.» De même, les métabolites, molécules issues de la dégradation des pesticides, inquiètent de plus en plus les autorités.

S'imprégnant moins dans les sols, certaines molécules sont facilement transportées dans les cours d'eau jusque vers les mers. C'est le cas de certains pesticides, du cadmium, du mercure, des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), et encore du nitrate. Sur le bassin Rhône-Méditerranée-Corse, «malgré des améliorations, 87 % des rivières restent contaminées par des produits chimiques», décrit Laurent Roy, directeur de l'Agence de l'eau en charge de ces territoires.

Et avec les sécheresses, la situation se complique. Aujourd'hui, les liens entre qualité de l'eau et dérèglement climatique, jusqu'ici peu connus, intéressent de plus en plus la recherche française. «La réduction des débits et la diminution des stocks d'eau en période de sécheresse entraînent une plus forte concentration des polluants dans l'eau, alerte le rapport parlementaire publié en juin. Ce faisant, les risques de dépassement des seuils de potabilité [limites à partir desquelles l'eau est considérée comme potable, ndlr] sont accrus en période de sécheresse prolongée.» Pour Julien Tournebize, chercheur dans l'unité Hycar de l'Inrae, le lien de cause à effet n'est pas si évident : «S'il y a moins d'eau qui circule, il y a aussi moins de flux de contaminants. C'est un phénomène qu'on a pu observer lors d'années particulièrement sèches.»

Les aléas climatiques peuvent aussi accélérer l'arrivée de ces produits toxiques dans les rivières. Par exemple, lors d'un épisode de forte chaleur, les orages qui suivent souvent lavent les sols agricoles emportant avec eux une partie des produits qui y ont été répandus. «Le 9 mai, 50 millimètres de pluie sont tombés en quelques heures en région parisienne. Sur notre site d'observation en Seine-et-Marne, nous avons pu enregistrer de très fortes concentrations de nitrates, que l'on n'observe qu'une ou deux fois par an», relate Julien Tournebize.

Le moment auquel ces orages vont éclater peut faire une grande différence. «Pour les pesticides, le créneau risqué est dix à quinze jours après leur application», ajoute le chercheur. En outre, un été très sec engendrant une chute des rendements agricoles peut aussi être à l'origine d'un regain de pollution lors du retour des pluies, car les plantes n'auront pas absorbé tous les produits épandus. Le balayage des sols par les pluies peut également emporter des particules en suspension dans l'eau que les stations de traitement n'arrivent pas à éliminer. Au point, parfois, de les forcer à fermer les puits.

Quelles conséquences pour les écosystèmes ?

Le réchauffement de l’air, et donc de l’eau douce, agit aussi sur le fonctionnement des écosystèmes et offre des conditions favorables à certaines bactéries ou microorganismes, potentiellement dangereux, pour prospérer. Avec l’augmentation des températures, l’eau s’eutrophise, c’est-à-dire que des végétaux aquatiques en profitent pour se développer et accaparent l’oxygène, au point de tuer les autres êtres vivants.

A l’été 2019, les canicules ont aussi aidé certaines cyanobactéries à proliférer dans de nombreux cours et plans d’eau. Aussi appelées algues bleues, certaines d’entre elles peuvent être dangereuses pour les animaux mais aussi pour l’homme. Pratique, une application mobile appelée «Qualité rivière», développée par les agences de l’eau et l’Agence française pour la biodiversité, permet de connaître la qualité des eaux de baignade et indique la santé des cours d’eau où l’on se trouve.

Dernier problème, et non des moindres, engendré par le changement climatique et qui risque de réduire la quantité d'eau potable disponible : la salinisation de certaines nappes phréatiques littorales par de l'eau de mer sous l'effet de la hausse du niveau des océans. Un phénomène qui inquiète fortement les collectivités du pourtour méditerranéen, avec un fort risque de dégradation durant la seconde moitié du XXIe siècle.