«On se demandait quand l’université allait craquer, ce sera sûrement à la rentrée.» Jérôme Giordano, se montre pessimiste quant aux prochains mois. Le secrétaire national du SNPTES, syndicat représentatif de l’enseignement supérieur, déplore un manque de moyens et d’encadrement qui dure malgré l’urgence de la crise sanitaire.
Après une fermeture brutale et six mois sans accueillir d'étudiants sur place, les universités s'apprêtent à rouvrir en septembre. Toujours sous la menace de l'épidémie de Covid-19, elles devront s'adapter aux règles sanitaires et, pour beaucoup, remplacer leurs cours sur place par des leçons et devoirs en ligne. Une méthode qui avait été appliquée cette année dans l'urgence de la fin du deuxième semestre et qui avait posé problème, du côté des élèves comme de leurs professeurs. «Le métier d'enseignant est un métier de contact humain, et l'enseignement à distance complique ce métier», assure le syndicaliste, enseignant à Aix-Marseille.
Confinés à partir de mars, les étudiants et les enseignants ont déjà dû s'adapter à des outils pédagogiques qu'ils ne maîtrisaient pas toujours. Parfois sans accès à Internet ou sans le matériel nécessaire, une fracture numérique s'était alors dessinée à l'intérieur des universités. Franck Loureiro, secrétaire général de la Sgen-CFDT, décrit des situations tendues à cause de l'enseignement à distance : «On a perdu beaucoup d'étudiants, et pas seulement ceux qui étaient déjà en difficulté. Si ça recommence à la rentrée, on risque une catastrophe !» Comme beaucoup de ses collègues, le responsable de formation à l'université de Poitiers craint une augmentation du nombre d'échecs et de décrochages parmi les étudiants, ce qui représenterait selon lui un «coût social important, car beaucoup de jeunes se retrouveraient au chômage».
Les décrochages, la plus grande crainte
A la Sorbonne-Nouvelle, université parisienne de 17 000 étudiants, la rentrée ne se fera pas devant des promotions entières comme c'est le cas d'habitude. Par sécurité, l'administration a fait le choix d'un premier semestre hybride pour plusieurs formations. Dans celles-ci, les élèves alterneront une semaine sur deux entre les cours à distance et en présentiel. Pour d'autres, tout se fera essentiellement par Internet, avec des moments de rassemblement obligatoires. «Le but est d'éviter les décrochages, c'est notre plus grande crainte», décrit le président, Jamil Dakhlia. S'il admet que les cours sur place restent la meilleure option, il affirme sa volonté de vouloir faire au mieux pour garantir une scolarité équilibrée à ses étudiants, le tout «sans moyens supplémentaires de la part de l'Etat».
Enquête
Sans rallongement de budget, les universités comptaient sur un appel à projets du ministère pour obtenir le financement de leurs «classes numériques». Sans projet compétitif et novateur, pas de financement pour les formations et matériels que nécessite l'enseignement à distance. Aix-Marseille par exemple, l'une des plus grandes universités de France avec 80 000 étudiants, n'a pas été lauréat du concours. L'université remporte un amorçage d'1 million d'euros à investir dans «l'hybridation des formations», c'est-à-dire des caméras, des ordinateurs et des micros dans les salles de classe. La Sorbonne-Nouvelle, en revanche n'obtiendra rien de cette commission. Pour voir le jour, le plan que l'université proposait pour articuler moyens pédagogiques, techniques et humains devra puiser dans d'autres budgets. «Les financements sont rares, on fait avec. Ou plutôt on fait sans», regrette le président de l'université parisienne. Cette année déjà, la crise sanitaire lui avait fait revoir ses priorités en matière de budget et il avait attribué 90% de la contribution de vie étudiante et de campus (CVEC) aux aides à l'équipement pour réduire la fracture numérique entre étudiants.
Des difficultés plus anciennes
Pour les syndicats, le manque de moyens alloués aux universités n'est pas une surprise, même dans ce contexte particulier. «Cette année encore, on fait les frais d'un sous-investissement chronique de l'Etat», déplore Jérôme Giordano. Depuis quelques années, l'université doit déjà faire face à une augmentation continue du nombre de ses étudiants du fait de l'évolution démographique. En 2020-2021, elle devra en plus s'adapter aux restrictions sanitaires et à l'arrivée dans les universités des néobacheliers, exceptionnellement nombreux cette année. Si les syndicats comprennent parfois la nécessité d'instaurer des cours à distance, ils craignent une utilisation abusive du procédé. «Pour certains, le numérique permettrait de faire des économies d'échelle. Mais il faut compter le temps et le coût que cela implique d'équiper les salles et de former les enseignants», argumente le secrétaire du SNPTES.
Du côté des étudiants, l’Unef entend aussi prôner un maximum de cours en présentiel, dans la mesure du possible : «Il faudrait déjà des bonnes conditions d’enseignement dans les facs, des amphithéâtres pas trop chargés, du savon dans les toilettes…» explique son vice-président Majdi Chaarana. Concernant les cours à distance, il insiste sur leurs effets délétères sur les étudiants. La précarité et l’isolement comptaient parmi les premières conséquences du confinement. Les élèves devaient poursuivre leur année universitaire par voie numérique, parfois sans ordinateur et un tiers d’entre eux ont rencontré des difficultés financières pendant cette période, selon l’Observatoire de la vie étudiante.