Aux Editions de l'observatoire, les étés se suivent et se ressemblent. La stratégie est bien rodée. Avant l'embouteillage de la rentrée littéraire, Nicolas Sarkozy sort du bois et gratifie la maison d'édition d'un best-seller. En 2019, l'ancien président de la République évoquait ses Passions, de ses débuts en politique jusqu'à son accession au pouvoir. Plus de 300 000 exemplaires vendus. Et cette année, le Temps des tempêtes, sorti le 24 juillet, revient sur ses deux premières années de présidence. Le bouquin a fait un démarrage éclair en détrônant le dernier roman de Joël Dicker de la tête des livres les plus vendus de l'été. La directrice de l'Observatoire, Muriel Beyer, avance un chiffre précis de 213 557 ventes, une vingtaine de jours après la parution de l'essai.
Impossible de ne pas remarquer la mention «Tome 1» sur la couverture du Temps des tempêtes. Peut-on déjà prophétiser la sortie du deuxième tome pour l'été 2021, à quelques mois de la prochaine élection présidentielle ? «Oui, d'autres livres sont prévus, confirme Muriel Beyer. Nicolas prend le temps qu'il lui faut pour écrire, il m'appelle une fois que c'est fini et on décide de la publication.» Et ça tombe l'été comme par hasard ? «Je crois qu'il aime bien parce qu'il est convaincu que les gens lisent l'été. De notre côté, on peut se permettre de le publier mais ce ne serait pas valable pour un auteur inconnu.»
Des essayistes de droite, mais pas d’extrême droite
Des auteurs inconnus, Muriel Beyer n'en publie quasiment pas. De François Bayrou le 1er février 2017 à Raphaël Enthoven le 19 août, beaucoup de personnalités politiques et médiatiques ornent le tableau de chasse de l'éditrice. Michel Onfray, Jean-Luc Mélenchon, Edouard Balladur, les frères Duhamel et Gérald Darmanin au début. Frédéric Beigbeder, Bruno Retailleau, Gérard Larcher, Michel Platini et Christophe Barbier ces derniers temps. Si la directrice de la maison d'édition se dit «ouverte à tout», une colonne vertébrale idéologique apparaît, située à la droite de l'échiquier politique.
La petite collection «Et après ?», consacrée au monde post-coronavirus, rassemble une communauté de penseurs républicains, libéraux, laïcards et anti-communautaristes comme Laurent Bouvet, Philippe Manière ou Joseph Macé-Scaron. «Il se trouve que les essayistes dont on parle beaucoup sont plutôt côté droite libérale ou centriste», se justifie Muriel Beyer. Elle se fixe en revanche une barrière : «Je ne veux pas éditer d'extrême droite. C'est simple, je ne pourrais pas me prononcer sur un livre d'extrême droite car je ne le lirais pas. Pour des raisons personnelles et parce que ça pourrait mettre la maison en difficulté.»
Dans l’ombre de Denis Kessler
Muriel Beyer a réussi son pari. Après quatorze ans chez Flammarion et vingt ans chez Plon, où elle fut directrice éditoriale, elle suit Denis Kessler en décembre 2016, qui crée le groupe d'édition Humensis en fusionnant PUF et Belin. Ancien vice-président du Medef, Kessler, connu pour sa véhémence face au modèle social français, est le PDG du groupe Scor, une société de réassurance, dont Humensis devient une filiale. Sous sa houlette, Muriel Beyer monte sa propre maison d'édition généraliste, «celle dont [elle] rêvait». Et accouche de nombreux succès de librairie, pas innocents dans la petite cinquantaine de millions d'euros de chiffre d'affaires réalisé par Humensis. Elle aime raconter que certains de ses auteurs fétiches chez Plon l'ont suivie sans broncher : «Alain Duhamel m'a juste envoyé un SMS: "Vous me donnerez l'adresse".»
Presque quatre ans plus tard, les Editions de l'observatoire se sont imposées et chassent sur les terres des maisons historiques que sont Gallimard, Seuil, Albin Michel ou… Plon. Ce succès vaut à Muriel Beyer quelques inimitiés dans le milieu, ses concurrents l'accusant d'aligner des à-valoir astronomiques pour attirer les auteurs à elle. «C'est une vieille lune, balaie-t-elle. J'ai un carnet de chèques comme tout le monde et un grand actionnaire au-dessus de moi.» Elle, préfère mettre en avant une relation particulière avec ses auteurs.
Gros coups et scoops
Ces derniers le lui rendent bien. Frédéric Taddeï, qui a publié un livre d'entretiens avec Jacques Attali à l'Observatoire, décrit une femme «très intelligente et entraînante» qui a «compris comment faire parler de livres à une période où il n'y a plus de vitrines télévisuelles». Alice Ekman, sinologue et autrice de Rouge Vif, venue du monde académique, brosse quelqu'un de «cash» à la tête d'une maison d'édition «audacieuse» qui ne l'a «forcée à rien» et lui a permis de «rester dans la nuance».
Si la personnalité de Muriel Beyer ressort même dans la description des Editions de l'observatoire, c'est parce qu'elle en est la mère et la matrice. «J'ai un commando avec moi, on va dans le même sens. Oui, tout remonte beaucoup à moi mais je leur laisse de la liberté», reconnaît-elle au sujet de son équipe de 14 permanents. Pour l'avenir, elle prévoit de laisser un peu plus de place à la littérature. En théorie. Son prochain succès pourrait s'appeler Carlos Ghosn, dont elle publiera un livre intime, écrit avec l'épouse de l'ex-PDG de Renault en mars 2021. «J'avais été mise sur le coup avec d'autres éditeurs quand Anne Méaux [la communicante de Ghosn et Fillon, proche de la droite, ndlr], avec qui je suis très amie, a eu cette idée. J'ai proposé la bonne personne pour aider à écrire et ça s'est fait», se félicite-t-elle. Au moment de raccrocher, Muriel Beyer envoie un dernier scoop pour la route : «Je viens d'échanger par SMS et je peux vous dire que je publie les mémoires d'Oliver Stone en octobre, c'est extraordinaire !» De la littérature, oui.