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Libération
Interview

«La morale et le mode de pensée de l'Eglise ne font plus référence pour la population»

A l'occasion du 15 août, fête religieuse d'importance pour les catholiques, Séverine Mathieu, sociologue des religions, fait le point sur la place qu'occupe encore l'Eglise catholique dans les débats politiques et de société en France.
Manifestation contre la PMA pour toutes, le 6 octobre à Paris. (Lucille BOIRON/Photo Lucille Boiron pour Libération)
publié le 15 août 2020 à 9h08

Même si la pratique religieuse tend à décroître, la fête du 15 août qui célèbre la Vierge Marie demeure prisée dans les milieux catholiques. Les foules accourent à Lourdes, l'un des principaux sanctuaires mariaux en Europe. Mais en France, l'Eglise catholique est en perte de vitesse. Politiquement, elle vient d'essuyer un échec cuisant avec l'ouverture de la PMA aux couples de femmes contre laquelle elle a mené le combat. Sociologue des religions, de l'éthique et de la famille, Séverine Mathieu analyse les évolutions des catholiques face aux questions bioéthiques et la place de l'Eglise dans le débat public. Elle vient de publier Faire famille aujourd'hui. PMA, bioéthique et religion aux éditions le Cavalier bleu.

L’adoption de la loi bioéthique signe-t-elle l’échec des catholiques anti-PMA ?

Il y a eu quand même une mobilisation ! La manifestation du 6 octobre a connu un succès au-delà de ce qu'on pouvait prévoir. Par la suite, il y a eu des tentatives pour organiser de nouvelles manifestations qui, c'est vrai, n'ont pas abouti. En 2018, les groupes de catholiques conservateurs ont été surtout très présents pendant la tenue des états généraux de la bioéthique. Mais, finalement, leur point de vue n'a pas été entendu. C'est cela l'échec ! La frange conservatrice n'a pas réussi à mobiliser au-delà de ses cercles. Au sein même du catholicisme, elle n'a pas fait l'unanimité ni créé le consensus. Début 2018, un sondage du Forum européen de bioéthique montrait que 35% des catholiques pratiquants étaient favorables à l'ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules. C'est le reflet de ce que la sociologue des religions, Céline Béraud, appelle le «pluralisme interne du catholicisme».

Comment expliquez-vous que plus d’un tiers des catholiques – une proportion qui est significative – soit favorable à la PMA ?

Ces cathos pratiquants se sont, je dirais, «sécularisés» [ils n'obéissent plus inconditionnellement aux normes de l'Eglise, ndlr]. La rupture s'est produite au moment des débats sur le mariage pour tous. Beaucoup de familles ont vu sortir de l'ombre des couples homosexuels ; ce qui a entraîné des prises de conscience. Je pense que nombre de catholiques ont vu que le monde ne s'était pas écroulé après l'adoption de la loi Taubira, malgré ce que prédisaient ses opposants.

Dans leur adhésion à l’ouverture de la PMA, ils défendent des valeurs autant laïques que chrétiennes, comme celle de la tolérance. Ils sont également légalistes : ils ont intégré le fait que c’est l’Etat démocratique qui se charge désormais de la «politique de l’intime», comme l’appelle l’historien Denis Pelletier. Le magistère catholique n’a plus de prérogative en la matière. Au-delà de leurs convictions religieuses, ils adhèrent aux valeurs de la société démocratique.

Cette évolution vous surprend-elle ?

Dans des enquêtes précédentes, j’avais déjà observé ce décalage entre le magistère de la hiérarchie catholique et les pratiquants. Dans le catholicisme, le recours à la PMA est prohibé, y compris pour les couples hétérosexuels mariés. Il m’arrivait pourtant de croiser des catholiques pratiquants qui en avaient bénéficié ; certains ignoraient même que les autorités catholiques l’interdisaient.

La hiérarchie et les catholiques conservateurs se sont retrouvés assez seuls dans leur combat contre la PMA. Il n’y a pas eu de front commun des religions sur cette question ?

C’est vrai. En octobre 2018, les représentants des religions ont participé à une table ronde à l’Assemblée nationale. A l’exception du président de la Fédération protestante de France qui avait fait état de divergences au sein du protestantisme, les responsables des cultes ont majoritairement exprimé leur opposition à l’ouverture de la PMA aux couples de femmes. Par la suite, lorsque le projet de loi a été déposé, les responsables des religions l’ont déploré mais ont fait aussi savoir qu’ils ne s’y opposeraient pas. Seuls les catholiques ont continué à refuser le texte.

Après cet échec, quelle place l’Eglise catholique occupe-t-elle, selon vous, dans le débat public ?

Lors de l’ouverture des débats sur la PMA, l’Eglise catholique a été écoutée, et même de façon assez privilégiée. Pour élargir son auditoire, la hiérarchie catholique a sécularisé – cela m’a beaucoup frappé – ses arguments contre la PMA. Elle a fait appel à l’anthropologie ou à la psychanalyse, en prônant un ordre naturel, une distinction des fonctions maternelles et paternelles.

Mais en sécularisant son discours, elle a marqué encore davantage la frontière entre son mode de pensée et l'ensemble de la société. Au fur et à mesure des mois, la hiérarchie catholique s'est rendu compte qu'elle n'était qu'un interlocuteur parmi d'autres. Le scandale de la pédophilie rend, c'est vrai, difficilement audible son discours de défense de l'intérêt de l'enfant. Quoi qu'il en soit, l'Eglise catholique occupe désormais la place qui est la sienne, c'est-à-dire celle d'une religion minoritaire. Sa morale et son mode de pensée ne s'imposent plus qu'à un groupe de catholiques conservateurs et ne font plus référence pour la population.