Au pied d'une tour de la Défense, dans l'ouest parisien, Jean raconte comment le Covid a changé le quotidien des salariés au sein de son entreprise. «Dans nos bureaux, on doit porter le masque dans toutes les parties communes, comme les ascenseurs ou les couloirs. C'est obligatoire, on a des panneaux qui nous le rappellent. Je le mets très régulièrement et jusqu'ici tout le monde joue plutôt bien le jeu», constate cet employé d'un grand groupe. Dans ce quartier d'affaires qui compte 3 600 entreprises, dont des sièges sociaux de banques, de compagnies d'assurances ou de sociétés industrielles, les employés, qui ce vendredi pressent parfois le pas pour arriver au bureau, témoignent de la pression qu'exerce le nouveau coronavirus dans leurs lieux de travail. Les entreprises sont des proies faciles : elles peuvent potentiellement devenir des clusters dans la mesure où les salariés s'y côtoient, par dizaines ou centaines, huit heures par jour et cinq jours sur sept, cloîtrés entre quatre murs.
Le risque épidémique représente évidemment une menace redoutable pour la santé des employés, mais aussi pour l'entreprise : un cluster peut entraîner sa fermeture et la cessation de ses activités. Un scénario catastrophe, que chacun tente d'éviter en mettant en place diverses mesures de distanciation physique, de respect des gestes barrières, et en imposant le masque. «Globalement, son port obligatoire dans les espaces communs est respecté», témoigne Mohammed, qui travaille chez Sopra Steria. Mais il concède qu'il y a «parfois» du relâchement «lors des réunions». «Ce n'est pas très pratique, surtout quand on se retrouve avec des collaborateurs que l'on connaît. On a tendance à le retirer. Mais on entend que le nombre de cas [de contaminations] augmente, donc peut-être même qu'en réunion il faudrait le garder», médite-t-il.
Les contraintes du travail à domicile
Pour l'instant, dans ce quartier où travaillent près de 180 000 personnes, le port du masque ne revêt pas encore un caractère obligatoire dans toutes les sociétés. «Dans mon entreprise, il est conseillé, pas imposé», explique Gauvain, ingénieur commercial chez OpenText, une entreprise de logiciels informatiques. Des dispositions pour la distanciation ont néanmoins été prises : «Les réunions ont essentiellement lieu par visioconférence. On a des masques à volonté pour ceux qui en mettent, du gel quasiment sur tous les bureaux et un sens de circulation pour éviter de se croiser.» L'aménagement des bureaux a été revu un peu partout. «Il y a plus de 1 mètre de distance entre nous dans notre open space», explique Anne, juriste chez Total. Le siège social du groupe pétrolier est installé dans l'un trois gratte-ciel de la Défense. «On a un système de prise de température à l'entrée du bâtiment. Très souvent, il y a des visioconférences. Dans les ascenseurs, on ne peut pas être plus de quatre.» Elle l'assure en souriant : «Beaucoup de mesures ont été mises en place, je suis plutôt sereine.»
Pour que le virus ne pénètre pas chez elles, les entreprises du quartier d'affaires sont également nombreuses à proposer à leurs salariés de continuer à télétravailler. «Il y a du télétravail et du retour en présentiel, c'est un mélange des deux, explique Willy, employé d'Areva (le géant du nucléaire), qui grille une cigarette devant ses bureaux. On a la possibilité de continuer à faire du télétravail jusqu'au mois de janvier, confirme Gauvain de OpenText. Mais je préfère venir au boulot, c'est mon cadre de travail, je n'ai pas la chance de pouvoir aménager un espace chez moi pour être tranquille.» Comme de nombreux Parisiens, lui et sa famille vivent à trois dans un appartement exigu de 48 mètres carrés. Employé d'une entreprise parisienne, Barnabé est toujours en télétravail. Lui aussi n'a pas de place pour travailler confortablement à domicile. Seule solution : louer un espace de coworking dans une tour de la Défense. Il est seul dans une petite salle, donc sans risque, selon lui, de contracter la maladie.
«Faire attention à la santé de tous»
Alors que les médecins sont de plus en plus nombreux à redouter le développement de foyers d'infection sur les lieux de travail et appellent le gouvernement à imposer l'obligation du masque, certaines entreprises semblent avoir devancé la mesure. «Le port du masque est obligatoire partout, même quand on est assis à notre poste de travail», explique Caroline, employée de la compagnie d'assurances Axa. Impératif similaire du côté de l'entreprise immobilière Esset, où travaille Alexandra : «Ils sont très carrés sur les mesures sanitaires.» Elle se sent rassurée, d'autant qu'elle sort d'un confinement de deux semaines après avoir été en contact avec une personne de son entourage ayant contracté le Covid-19. «Mais l'inquiétude reste», nuance-t-elle.
Jean «comprend tout à fait» l'éventuelle généralisation : «Dans les parties communes et s'il y a des bureaux partagés, je ne trouve pas ça inutile. C'est important, il faut faire attention à la santé de tous.» Mais Afana, informaticien en apprentissage, n'a pas un avis aussi tranché. Entre deux bouchées de chausson aux pommes, il explique que cette obligation «peut être une bonne nouvelle pour les entreprises qui n'ont pas pris la mesure du risque que constitue le coronavirus. Mais travailler avec un masque toute la journée à son poste, ça peut être difficile».
A la Défense, où la majorité des salariés arrivent à leur travail par des métros et RER bondés, beaucoup pointent aussi le risque de contracter le virus dans les transports, plus que sur le lieu de travail. «Au boulot, je me sens rassurée parce qu'il y a la distanciation physique, explique Véronique, employée d'une société de logements sociaux. En revanche, j'ai peur dans les transports en commun. Là, il y a toujours quelqu'un qui s'assoit juste à côté de vous.» Même crainte de Pascale, employée d'une entreprise internationale : «Les transports, je les prends tous les jours, ça me gêne beaucoup plus. Par exemple, mercredi, il y avait des problèmes sur la ligne de RER, on était serrés comme si c'était un jour de grève. Je trouve ça beaucoup plus dangereux que dans les bureaux.»