Menu
Libération
Plan social

La reprise de Camaïeu par Michel Ohayon, une victoire en demi-teinte

A Roubaix, les salariés ont accueilli lundi avec soulagement la décision du tribunal de commerce de pencher en faveur du projet de la FIB, et non pour celui des propriétaires actuels, même s’ils savent qu’un peu plus de 500 emplois devraient être supprimés.
Piquet de grève devant le siège de Camaïeu à Roubaix, le 21 juillet. (Photo Aimée Thirion)
par Stéphanie Maurice, correspondante à Lille
publié le 17 août 2020 à 20h31

Un cri de joie perce les murs de l’entrepôt, au siège de Camaïeu à Roubaix (Nord). Les salariés de la logistique viennent d’apprendre la décision, lundi matin, du tribunal de commerce de Lille : il a choisi l’offre de reprise de la Financière immobilière bordelaise (FIB), dirigée par Michel Ohayon, également propriétaire de magasins repris aux Galeries Lafayette ou de l’enseigne la Grande Récré. Ce projet, mieux-disant socialement, avait la faveur du comité social et économique (CSE) et de l’intersyndicale CGT-FO-CFDT. Un peu plus de 500 emplois devraient tout de même être supprimés.

Un camouflet pour les actionnaires actuels - des fonds d’investissement américains (Farallon et Carval) et luxembourgeois (CVC), réunis dans un consortium aux côtés d’une enseigne Mulliez (Grain de malice) et d’une entreprise de logistique nordiste (Log’s) - qui étaient également sur les rangs pour racheter la chaîne de prêt-à-porter. Eux souhaitaient garder la même équipe dirigeante, menée par le PDG, Joannes Soënen, mais prévoyaient de ne conserver que 446 magasins, contre 511 pour l’offre concurrente. Leur projet était soutenu par le syndicat maison, l’Upae, majoritaire aux élections professionnelles avec 38 % des voix. Les représentants du consortium, présents au tribunal de commerce lundi matin pour obtenir une copie du jugement, n’ont pas souhaité commenter la nouvelle.

«Vendre du rêve»

Dans sa décision écrite, le tribunal de commerce de Lille justifie ainsi son choix : «Force est de constater que, même si les fautes antérieures ne peuvent lui être reprochées, l'équipe dirigeante du consortium n'a pas su ou pas pu acquérir et conserver la confiance du personnel. De ce fait, la réussite du projet du consortium apparaît trop fragile.» Lucie Colier, déléguée syndicale CGT, s'exclame : «C'est une phrase qui m'a vraiment fait plaisir. On voit que l'avis du CSE a été écouté.» Elle poursuit : «On ne pouvait plus leur faire confiance. Depuis janvier, Joannes Soënen organisait une réunion une fois par mois, avec des écrans géants, pour nous vendre du rêve, des nouveaux projets, et nous, on y croyait. Et on est sortis du confinement pour se retrouver en redressement judiciaire.»

Comme d'autres salariés de Camaïeu, elle a le sentiment que le Covid-19 a été un prétexte. Le 20 mai, une ordonnance facilitait les reprises des entreprises par leurs propriétaires, pour limiter les suites économiques de l'épidémie. Le 26 du même mois, Camaïeu déposait le bilan. «Avant, un entrepreneur qui avait failli pouvait soit proposer un plan de continuation, avec un étalement des dettes sur dix ans, soit mettre en vente sa société, avec effacement des dettes, explique Stéphane Ducrocq, l'avocat du CSE. Maintenant, l'ordonnance lui permet de racheter sa propre entreprise en remettant le compteur à zéro : c'est totalement nouveau.» C'est cette opportunité, déjà testée par la famille Mulliez sur Alinea, qu'a voulu utiliser le consortium, mais le tribunal de commerce ne l'a pas suivi. «Je ne suis pas du tout contre cette ordonnance Macron, précise Nordine Misraoui, délégué CFDT. C'est bien pour les entreprises qui cherchent un repreneur et n'en trouvent pas.» Mais dans le cas de Camaïeu, pour lui, la pilule aurait été difficile à avaler.

Pas de blanc-seing

Au siège, des camarades de travail, affichant tous une trentaine d'années de présence dans l'entreprise, apprécient aussi le commentaire du tribunal, en sirotant leur café, soulagés : «La semaine de grève, elle a payé», se félicite l'un d'eux. Même si, ils le savent, il y aura des licenciements : sur les 3 438 employés que comptait l'enseigne en France en septembre, un chiffre descendu aujourd'hui à environ 3 200, le projet de la FIB prévoit d'en garder 2 659. Le consortium sabrait davantage, avec 2 299 contrats de travail maintenus. D'où la joie mesurée des salariés de Camaïeu.

A la logistique, la satisfaction est générale. Tous les emplois devraient y être conservés. Surtout, il n'y aura pas de déménagement de l'entrepôt chez Log's, dans la ville voisine de Wattrelos, à l'inverse de ce qu'envisageait le consortium. «Il y a aussi notre sous-traitant Dispeo, qui s'occupe du tri et de l'offre web, qui est sauvé, note Farid. C'étaient 130 bonshommes en plus sur le carreau.»

Ces employés avaient besoin qu'une page se tourne : «Je n'avais jamais vu autant de changements de patron, un différent tous les ans, remarque Marcel. Soënen, il est là seulement depuis septembre.» Avec des erreurs de stratégie, des stocks trop importants et difficiles à écouler, une politique de développement web bien trop tardive. Aucun des salariés n'est cependant prêt à accorder un blanc-seing à FIB : «On va voir leur projet. Eux, on ne les connaît pas.»