«Le sam'di soir après le turbin, l'ouvrier parisien / Dit à sa femm' : comme dessert / J'te pai'l'café concert ; on va filer / Bras d'ssus, bras d'ssous aux gal'ries à vingt sous.» Ah ce fameux Viens poupoule, créé par Mayol en 1902, fait la joie des spectateurs et raconte assez bien l'ordinaire des loisirs de la classe ouvrière d'après guerre. Dès avril 1919, la loi entérine le principe de la journée de huit heures et de «la semaine anglaise». Un progrès sur la société laborieuse d'avant 1914 : on travaille désormais jusqu'au samedi midi ou soir. Le dimanche restant, sauf pour les femmes, ordinairement consacré au repos.
Le pouvoir d’achat des ouvriers a tendance à progresser. On le voit dans la diminution de la part du budget consacrée à l’alimentation et la part un peu plus belle consacrée aux nouveaux loisirs : le cinéma ou le spectacle sportif, comme le très prisé combat de boxe. Certes, les Années folles ne le sont pas pour tout le monde, ce monde-là ne s’étouffe pas de cocktails ou de charleston, mais ces loisirs font un peu oublier à la classe ouvrière le principal problème : le logement qui, avec l’urbanisation, a vu ses prix grimper, obligeant les prolétaires à fuir en périphérie et en banlieue. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le logement ouvrier est caractérisé par son manque de confort voire son insalubrité : un espace exigu, pas de salle de bains, pas de toilettes, généralement pas d’eau courante.
Répétitif
Ce qui ne change guère depuis 1880, ce sont les conditions de travail dans cette usine ultra-taylorisée. Les Temps modernes de Chaplin, quoique beaucoup plus tardif (1936), illustre à merveille la décomposition de chaque geste de l'ouvrier pour éviter les temps morts et augmenter la productivité en la rationalisant scientifiquement. Un quotidien rude, répétitif et avec peu de pauses, le tout sous la houlette du «chef roi». Cela intensifie nettement le travail sans que ni les travailleurs ni les syndicats n'y prêtent attention, même si la guerre a vu naître un vaste mouvement de politisation du monde ouvrier.
Au recensement de 1921, on compte, en France, environ 6,2 millions d’ouvriers, avec une estimation du salaire moyen de 2 115 francs par mois à temps plein, ce qui varie considérablement selon le sexe, l’âge, la branche industrielle et la région.
A l’usine, contrairement aux champs ou aux bureaux, la guerre n’a pas fait de ravages : comme ils ont participé à l’effort de guerre et que les entreprises ont souvent marché à grand rendement, les ouvriers n’ont pas été décimés.
Paradoxe
Dès la fin de la scolarité obligatoire, autour de 13 ans, les jeunes sont mis au travail. Le salaire ouvrier peut être calculé au temps (heure, journée ou mois), à la tâche ou à la pièce, suivant le domaine et la spécialisation.
Aux femmes de gérer ce quotidien pas facile. La guerre leur a offert un moment paradoxal d’émancipation puisqu’elles ont pu et dû gérer leurs affaires, le foyer, etc., sans nécessairement un contrôle ou une tutelle masculine.
L’époque ne constitue pas le début du travail féminin, seulement une ouverture dans des branches où elles étaient peu nombreuses : la métallurgie et l’armement en particulier. Avec la fin de la guerre, les pouvoirs publics entendent bien refermer cette parenthèse et renvoyer les femmes à leurs fourneaux et au repeuplement du pays. De fait, dans l’armement en particulier, on licencie en masse et pas seulement des femmes : des étrangers et des coloniaux aussi. Pour autant, on ne revient pas en arrière. Une certaine forme de libération est en marche.
Avec l'Espoir et l'effroi, luttes d'écritures et luttes de classes en France au XXe siècle de Xavier Vigna, éd. la Découverte, (2016).
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