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Libération
Une vie en héritage

Troisgros, chefs de famille

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La famille Troisgros, à Ouches, le 22 juillet. (Photo Roberto Frankenberg)
publié le 28 août 2020 à 17h06
(mis à jour le 23 septembre 2020 à 17h46)

Pierre Troisgros, qui a révolutionné la cuisine avec son frère Jean et fait de l'hôtel-restaurant familial de Roanne un monument de la gastronomie, est mort ce mercredi à l'âge de 92 ans. Cet été, Libération revenait sur cette dynastie de cuisiniers triplement étoilés, dont l'histoire s'étale sur quatre générations.

Nourrir les autres est sans doute l’un des métiers les plus difficiles au monde. Parce qu’il faut recommencer chaque jour sans décevoir. Surtout quand on tutoie le firmament des trois étoilés avec chacun ses goûts, son caractère. Dans la galaxie hexagonale (que ceux qui ne sont pas présentement cités nous pardonnent), il y a des monstres sacrés (Fernand Point, Paul Bocuse), des omniscients hyperactifs (Alain Ducasse), des imprévisibles géniaux (Marc Veyrat), des aubergistes stratosphériques (Guy Savoy), des magiciens inimitables (Pierre Gagnaire), trop peu de femmes (Anne-Sophie Pic). Et il y a les Troisgros à Roanne (Loire). Enfin… on devrait écrire Michel Troisgros, 62 ans, fils de Pierre, né en 1928, neveu de Jean (1926-1983). Ces deux frangins, créateurs du fameux saumon à l’oseille au début des années 60, ont été consacrés, à l’époque, papes de la nouvelle cuisine, triplement étoilés en 1968, et les critiques gastronomiques Henri Gault et Christian Millau écrivirent qu’ils étaient le meilleur restaurant du monde.

Il y a donc Michel mais le nom de Troisgros est insécable aux fourneaux tricolores depuis quatre-vingt-dix ans, autant dire un siècle. On se dit cela un soir précaniculaire en se perdant de gourmandise dans la fricassée de rognons à l'artichaut servi au Central, le café-épicerie ouvert par Michel et son épouse Marie-Pierre en 1995, juste en face de la gare de Roanne qui fut longtemps aux Troisgros ce que la gare de Perpignan était à Salvador Dalí : le centre du monde. Car, juste à côté du Central, on s'en va en pèlerinage devant un bâtiment fantôme, désert, silencieux, aux stores et aux rideaux tirés. Pendant soixante-sept ans, il fut le vaisseau amiral, le restaurant gastronomique Troisgros, jusqu'à ce que la famille étoilée déménage le 1er janvier 2017 à une dizaine de kilomètres de là, à Ouches, dans une ancienne propriété agricole de 17 hectares avec manoir d'inspiration toscane, bois, jardin, étang, (8 millions d'euros de travaux