En cette belle matinée ensoleillée, les derniers parfums de vacances flottent encore dans l'immense cour de récréation cernée de bâtiments vides et silencieux du collège Rosa-Parks, un établissement de 550 élèves situé au cœur du quartier populaire et multiculturel de Villejean, à Rennes. En ce jour de rentrée des professeurs, seule une petite dizaine de nouveaux enseignants, les premiers arrivés, se succèdent, dûment masqués, à l'accueil administratif de l'établissement pour y recevoir leur «kit de survie». À savoir «des clés, des mots de passe, des codes», mais aussi le «kit Covid-19», comprenant une boîte de masques, des feutres et une souris d'ordinateur personnelle.
Pour la direction du collège, pas d'appréhension particulière quant à cette rentrée inédite. «Regardez autour de vous, invite un de ses représentants en désignant les immeubles qui entourent le bâtiment, tous nos élèves habitent à quelques pas d'ici et nous n'avons pas eu les mêmes problèmes que les établissements où s'est posée la question des transports pour les faire revenir en classe après le confinement.» Mais si, en juin dernier, les élèves étaient accueillis par demi-groupes dans des salles affectées à chaque classe, ils vont devoir s'adapter à une nouvelle organisation et respecter des cheminements précis pour aller d'une salle à une autre, en évitant les croisements.
«Une difficulté supplémentaire»
À mesure que les professeurs déjà en poste à Rosa-Parks rejoignent leurs nouveaux collègues, les interrogations sur ce que seront les contenus pédagogiques des prochains cours se font prégnantes. «Nous sommes un établissement d'éducation prioritaire, avec une population fragile, dont la plupart des élèves ne sont pas équipés numériquement, relève Marie, professeure d'anglais. 80% d'entre eux n'avaient accès aux cours à distance que sur un téléphone portable et la majorité ne sont revenus au collège que dans les derniers jours de juin, quand c'était obligatoire. Nous sommes habitués à un public qui a déjà beaucoup de difficultés scolaires et les lacunes provoquées par le confinement vont encore en ajouter une supplémentaire. On va y aller doucement, avec bienveillance, en s'adaptant à leurs besoins.»
L'enseignante, qui déplore la suppression d'un demi-poste de CPE pendant le confinement, remarque par ailleurs que le port du masque ne sera pas franchement idéal pour l'apprentissage des langues vivantes, où les expressions du visage et les sons sont essentiels. Sans compter qu'il va falloir instaurer de «nouvelles règles de travail», liées au Covid-19.
Autre problème majeur lié au masque : l'identification des nouveaux élèves. «Je vais me retrouver avec des classes de cinquième que je ne connais pas du tout, s'inquiète Line, 39 ans, prof de sciences physiques. Alors que, dans un collège comme celui-ci, pour faire respecter les consignes et rappeler à l'ordre, il est primordial de connaître le nom des élèves et de l'associer à un visage.» Elle pointe également les phénomènes de déscolarisation provoqués par le confinement. «On a distribué une centaine d'ordinateurs aux familles mais il en aurait fallu le double, remarque-t-elle. Avant de songer à respecter les programmes, notre premier objectif sera de réinscrire nos élèves dans la scolarité.»
«Remettre à plat ce que l'on pense être acquis»
Claire, collègue de français, partage les mêmes préoccupations et n'oublie pas que la pandémie a pu être très anxiogène pour certaines familles, ce qui risque de laisser des traces. «Nos élèves ont besoin de beaucoup de répétitions pour avoir des acquis pérennes et solides, insiste-t-elle. Ils ont besoin de régularité et d'avoir des habitudes pour respecter des horaires, avoir leur matériel en classe et ne pas se laisser happer par des réseaux périphériques ou la tentation de la grasse matinée. Il va falloir être très modestes dans nos exigences, déplacer les priorités sur les fondamentaux, lire, écrire, dire. Mais aussi, rassurer tout le monde pour donner l'envie de venir et de maintenir une présence régulière dans l'établissement.»
Déjà obligés de composer avec une grande hétérogénéité de niveaux au sein d'une même classe, la plupart de ces enseignants avouent que le suivi des programmes officiels sera le cadet de leurs soucis. «Il va falloir d'abord remettre à plat ce qu'on pense être acquis, reprendre les bases pour retrouver un socle de connaissances, confirme Daniel, professeur de mathématiques. Se demander aussi, pour les troisièmes, jusqu'où on va pouvoir les emmener par rapport au brevet. Espérons qu'à la fin de l'année, celui-ci sera adapté aux circonstances.»