Lassana Bathily est fidèle à lui-même. Cinq ans après l’attaque terroriste, il a toujours la même allure svelte et juvénile, la démarche élégante. L’ancien magasinier de l’Hyper Cacher a presque 30 ans, il en fait largement cinq de moins.
Grâce à sa notoriété mondiale, il aurait sans doute pu s'installer aux Etats-Unis où, à l'invitation d'associations juives ou musulmanes, il s'est rendu six fois depuis l'attentat. Mais non. «Ma vie est désormais en France», dit-il. «Dans aucun pays, on ne peut être à l'abri», ajoute-t-il. Pour témoigner, il est aussi allé en Allemagne et en Italie. Et régulièrement, il intervient dans des classes ou à la demande d'associations : «Pour expliquer qu'un vivre-ensemble est possible.»
Au cours des mois qui ont suivi le 9 janvier 2015, il lui a fallu prendre des précautions, éviter, sur les conseils de la police, certains endroits. Comme les autres otages, Lassana Bathily a eu peur. Sa famille, encore plus : «Ils craignaient pour moi parce que j'étais beaucoup apparu à la télévision.»
Le Franco-Malien sera présent ce mercredi à l'ouverture du procès. Et il viendra témoigner le 6 octobre. On le verra encore beaucoup dans les médias. «C'est leur choix et je le respecte», dit-il à propos des autres ex-otages de l'Hyper Cacher qui, en majorité, ont décidé de ne pas être là. Ses mots sont sobres. Presque comptés, souvent arrachés. Un mélange de prudence et de timidité. «C'était un acte citoyen», dit-il seulement à propos de son comportement pendant l'attaque du magasin, quand il a aidé d'autres otages à se cacher dans une chambre froide. Peu importe qu'il soit musulman et les clients de l'Hyper Cacher juifs. Il a été souvent choqué par les questions des journalistes laissant entendre que, en tant que musulman, il aurait pu choisir de ne pas les secourir.
«Prière»
Devant la cour d'assises spéciale, Lassana Bathily racontera encore une fois ce qui s'est passé le 9 janvier 2015. Le magasinier était à la réserve quand Amedy Coulibaly a pénétré dans la supérette, un peu après 13 heures. Lassana Bathily avait négocié de terminer plus tôt chaque vendredi, pour assister à la grande prière. Qu'il soit musulman n'a jamais posé question aux patrons, ni à ses collègues devenus souvent des amis. «J'avais mon tapis de prière à la réserve et j'y priais», dit-il.
Très vite, Lassana Bathily a pris la fuite, grimpant dans un monte-charge, ce qu’ont refusé de faire d’autres otages. Le choix était risqué, pouvait attirer l’attention de Coulibaly. A sa sortie, les policiers l’ont suspecté d’être l’un des terroristes.
L’ancien magasinier de l’Hyper Cacher est un vrai modeste. Dans les mois qui ont suivi l’attentat, il y a eu certes la gloire et les honneurs, les prestigieuses félicitations de Benyamin Nétanyahou et de Barack Obama, une naturalisation express (dès le 20 janvier 2015) et très médiatisée, des centaines de demandes d’interviews. Et puis les polémiques. D’ex-otages ont contesté sa version des faits, jaloux peut-être de sa notoriété. L’extrême droite l’a violemment attaqué, l’accusant de profiter de la situation. Moche, très moche. Et blessant.
La vie de Lassana Bathily a changé. Le «héros malgré lui» - c'est ainsi qu'il est désigné dans un très intéressant documentaire de Pierre Bourgeois et Pierre-Olivier François - travaille désormais à la mairie de Paris, au service de la jeunesse et des sports, fonctionnaire titularisé.
Village
Il a quitté son foyer de migrants de la porte de Clichy, habite dans le XIe arrondissement, près du Bataclan, rêve de fonder une famille. Pour son village natal, Samba Dramané, au Mali, il a récolté des fonds qui ont permis l'installation d'une pompe à eau. La famille d'Amedy Coulibaly est originaire de la même région, implantée à seulement une quinzaine de kilomètres de là.