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Libération
Procès Charlie

Peter Cherif, superviseur des attaques de janvier ?

Attentats de «Charlie Hebdo» et de l’Hyper Cacher : un procès hors normedossier
Arrêté à Djibouti en 2018, le possible commanditaire français des attaques sera entendu depuis sa cellule. Mais les preuves manquent pour le relier directement aux assassins.
Peter Cherif, extradé vers la France, à l'aéroport de Djibouti, en décembre 2018. (-/Photo AFP)
publié le 1er septembre 2020 à 20h11

Il fait partie du noyau dur du jihadisme français, une poignée de noms traversant les époques, et dont l'ombre n'est jamais loin des projets macabres des cinq dernières années. Pourtant, alors qu'il apparaît comme le superviseur évident des attentats de janvier 2015, rien ne dit qu'il sera un jour jugé pour ces massacres. Interpellé en décembre 2018 à Djibouti alors qu'on ne l'attendait plus, Peter Cherif, 38 ans, a été mis en examen pour «association de malfaiteurs terroriste criminelle» dans un volet disjoint du dossier. Mais lorsqu'il a été appréhendé à la surprise générale, après sept ans passés au Yémen, les magistrats instructeurs avaient déjà bouclé leur gigantesque enquête. Pour que Peter Cherif comparaisse un jour ou l'autre pour les tueries de janvier 2015, il faudra que la justice démontre l'existence de directives passées par ce cadre d'Al-Qaeda dans la péninsule Arabique (Aqpa) aux assassins, les frères Kouachi pour Charlie Hebdo, ou Amedy Coulibaly pour l'Hyper Cacher. En l'état des investigations, les preuves tangibles manquent. Selon l'Express, Peter Cherif aurait toutefois confessé lors d'un interrogatoire que son rôle était de recruter des ressortissants étrangers pour les opérations extérieures, sous le patronnage d'Anwar al-Awlaki, l'un des idéologues les plus influents d'Aqpa.

Délinquants

A l’été 2011, Chérif Kouachi, le cadet de la fratrie, s’est rendu au sultanat d’Oman, limitrophe du Yémen, en compagnie d’un homme originaire du Val-de-Marne, Salim Benghalem, qui deviendra un ponte de l’Etat islamique (EI), et l’un des geôliers des quatre journalistes français retenus en otage à Alep, Nicolas Hénin, Pierre Torres, Didier François et Edouard Elias. Des instructions précises visant Charlie Hebdo ont-elles été passées lors de ce périple ? Si certaines agences de renseignement l’envisagent, la preuve incontestable n’a jamais été rapportée. Toujours est-il que les deux jeunes Français ont côtoyé des membres de l’organisation terroriste dans des camps d’entraînement au maniement des armes.

Ce qui est certain, c'est que les Kouachi et Peter Cherif ont entretenu des contacts réguliers à distance. Avant de devenir de probables partenaires de crimes, ils ont tous trois participé à la filière dite des Buttes-Chaumont, dont l'objectif était d'acheminer des combattants vers la branche irakienne d'Al-Qaeda. Ramifiés autour du charismatique prédicateur Farid Benyettou - qui a par la suite rejoint l'équipe de l'anthropologue Dounia Bouzar, œuvrant dans les dispositifs de «déradicalisation» - ses adeptes fréquentaient alors la mosquée Adda'wa de la rue de Tanger (XIXe arrondissement de Paris), détruite en 2006. C'est dans ce substrat ultraradical et hostile que les petits délinquants d'hier - Peter Cherif était connu pour des vols avec arme et du trafic de stups - sont devenus des terroristes aguerris.

Durant l'enquête, les policiers ont exhumé d'étranges échanges de mails et de fichiers entre Amedy Coulibaly et un inconnu. Preuve qu'il existe bel et bien dans ce dossier une personne qui avait une vue périphérique des attaques. Le 7 janvier, à 14 heures, soit quelques heures après la tuerie dans les locaux de l'hebdomadaire satirique, Coulibaly recevait le message phonétique suivant : «Ok, fé ske ta a fair aujourd'hui ms simple com ça tu rentr dormir ensuit tu plank et verifi adress 1 ts les jrs : indications bientôt pr recup amis aider toi […]» Le lendemain, à 17 h 21, alors que les frères Kouachi sont en cavale entre l'Aisne et l'Oise, le futur tueur de l'Hyper Cacher reçoit de nouvelles consignes : «1) pas possible amis, travailler tt seul. 2) si possible trouver et travailler avec zigotos bien [les Kouachi ? ndlr] 3) si possible expliker ds video ke toi donner zigoto les outils au nom de d, préciser leskels.» Si les enquêteurs n'excluent pas que Peter Cherif soit l'auteur de ces SMS, ils situent plutôt l'expéditeur au sein de l'EI, auquel Coulibaly a fait allégeance, et ciblent Salim Benghalem, ou Boubakeur el-Hakim, autre ex-membre de la filière des Buttes-Chaumont, devenu un soldat influent de la cellule de l'EI chargée de planifier les attentats à l'étranger, l'Amniyat.

Intercepté

Incarcéré à la prison de Bois-d’Arcy (Yvelines), Chérif est également mis en examen pour l’enlèvement de trois Français d’une ONG lyonnaise au Yémen, en mai 2011. La perspective de le voir jugé un jour en France tient quasiment du miracle, tant il a passé de temps dans des zones très reculées du petit pays de la péninsule arabique, où le sort des terroristes se règle généralement par les tirs des drones américains. Le 24 septembre, il devrait être entendu en visioconférence depuis son lieu de détention.

C'est muni de faux papiers, et après s'être dissimulé dans des camps, que Cherif est repassé clandestinement à Djibouti avec son épouse religieuse, Soulef A., gravement malade, et leurs deux enfants. Avant d'être interpellé par les forces spéciales djiboutiennes dans le quartier de Balbala, il a enchaîné les petits boulots. Selon plusieurs sources sécuritaires, la famille avait pour projet de rejoindre, à terme, l'Algérie, pays d'origine de Soulef A. Cette dernière y aurait passé un appel, intercepté par le renseignement américain, qui a ensuite prévenu la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), chargée de le localiser. Parce que, parfois, la vie produit d'inimaginables coïncidences, Sigolène Vinson, présente à Charlie lors de l'attentat, et dont Djibouti est le pays d'enfance, était dans l'avion qui ramenait Peter Cherif en France, encadré par des policiers antiterroristes.