Hors-norme, le procès des attaques jihadistes de janvier 2015 suscite un écho qui dépasse largement le seul cadre hexagonal. Sur les 90 médias accrédités pour les 49 jours d’audience, 29 sont étrangers.
Au Royaume-Uni, «toujours provocant»
Outre-Manche, la couverture du procès est plutôt fournie et conséquente. Des tabloïds, tels le Sun ou le Daily Mail, à la BBC ou aux journaux dits «sérieux», comme le Financial Times ou The Guardian, tous ont couvert l'ouverture du procès dans de longs articles. Certains, comme le Guardian, le suivent quotidiennement, relatant les témoignages bouleversants qui s'y succèdent. Beaucoup ont insisté sur la décision de l'hebdo de republier à la veille du procès les caricatures de Mahomet. «Toujours aussi provocant, Charlie Hebdo a republié la semaine dernière les caricatures du prophète Mahomet qui avaient soulevé la colère dans le monde islamique, entraînant de nouvelles condamnations d'Etats comme l'Iran, le Pakistan et la Turquie», écrit ainsi le Daily Mail. Pour illustrer son article relatant cette nouvelle publication des caricatures, The Times affiche un habile montage de la une en noir et jaune de Charlie Hebdo, où on lit bien «Tout ça pour ça», mais où les caricatures restent invisibles. L'article souligne que depuis les attentats de janvier 2015, en France, «le soutien au droit du journal à se moquer de sujets raciaux ou religieux a décliné». Le Financial Times rappelle, lui, que François Hollande et Emmanuel Macron ont réaffirmé vigoureusement «les principes de la liberté de parole et l'absolue liberté de conscience».
En Allemagne, «rien n’est oublié»
L'intérêt du procès n'est sans doute pas à la mesure de la solidarité que les Allemands avaient manifesté lors des attentats de 2015. La presse allemande n'a pas manqué de rappeler les faits et les enjeux du procès. «Charlie Hebdo : le droit au blasphème», a titré ainsi le grand hebdo Die Zeit pour revenir sur le sujet. «Rien n'est oublié», a ajouté le Taz, quotidien de la presse alternative. Mais le sujet a été éclipsé par l'empoisonnement de l'opposant russe Alexeï Navalny, soigné à Berlin, ou la lutte contre la violence d'extrême droite. «L'intérêt des médias reste néanmoins très fort depuis plusieurs années. A la sortie de la version allemande du Lambeau, de Philippe Lançon, en mars 2019, nous avons eu une couverture médiatique exceptionnelle. Le livre est un succès», rappelle la porte-parole de l'éditeur allemand Klett-Cotta. Partout en Allemagne, on trouve encore des autocollants «Je suis Charlie» sur les murs qui rappellent la grande vague de solidarité des Allemands de 2015. Rien qu'à Berlin, près de 20 000 personnes s'étaient réunies à la porte de Brandebourg. Lors des traditionnels carnavals de Rhénanie, certains chars avaient été décorés cette année-là aux couleurs de Charlie sur thème de la liberté d'expression. Une édition allemande du magazine satirique avait même été lancée en décembre 2016. L'aventure s'est néanmoins achevée, faute de lecteurs, un an plus tard.
En Espagne, «un baromètre»
La presse espagnole a donné un large écho au procès dès son début, beaucoup de titres ayant même décidé de faire un suivi quotidien sur cette affaire qui, vu d'ici, s'est imposée comme emblématique de la liberté d'expression. A l'instar du journal online ElDiario.es, le procès des attentats de janvier 2015 «marque une époque», et ce dans un pays qui aux yeux des Espagnols continue à «être perçu comme le héraut de la liberté de s'exprimer jusque dans ses ultimes conséquences, comme le droit au blasphème». Pour El Pais, ce procès exceptionnel place non seulement la France «face à ses démons et rouvre ses blessures», mais aussi «permet de jauger l'état actuel de la liberté d'expression» dans les pays occidentaux. Selon un avis très partagé ici, malgré le «Jamais nous ne céderons ni ne renoncerons» de Riss, le patron de Charlie, le procès révèle en creux le reflux progressif d'un droit que les peurs montantes contribueraient à affaiblir. Pour le quotidien catalan la Vanguardia, l'affaire nous sert de «baromètre» sur «la montée généralisée des intolérances», celles-ci dépassant le cadre des «versions obscurantistes des religions». Paradoxalement, les attaques de janvier 2015 sont peu perçues comme un miroir pour la société espagnole où, en dépit de l'attentat du 11 mars 2004 à Madrid qui avait fait 193 morts, le débat sur l'islamisme est peu présent. Seule la presse conservatrice, tel Abc, fustige «la cécité d'une gauche bien pensante» qui, au nom de «principaux moraux», «se voile la face et refuse d'affronter l'hydre totalitaire de l'islamisme armé».