L'agent immobilier ou le promoteur font rarement figure de geeks. Cela désole Brendan Wallace, cofondateur de Fifth Wall, la plus importante firme de capital-risque dans le bâtiment. «Il existe encore des professionnels qui disent que leur métier consiste à vendre des immeubles, que c'est d'abord une affaire d'emplacement et qu'ils utilisent la technologie quand c'est nécessaire mais sans plus, déclare-t-il à un public du métier. Ceux-là disparaîtront.»
Au Centquatre à Paris, se tenait lundi Propel by Mipim, un dérivé du marché international des professionnels de l’immobilier, orienté innovation. Donnant l’exemple, Reed-Midem, organisateur de ce salon, a mis les conférences en live sur son site tandis que des intervenants participaient via Zoom. Courageux, les intervenants. Pour Brendan Wallace, qui s’exprime depuis la Silicon Valley, il est 6 heures du matin.
Que faut-il faire pour survivre ? «Vous devez construire une marque, ne plus être les managers de l'espace mais les sociologues de l'espace grâce aux données, a poursuivi Brendan. Ceux qui pourront pousser leur image de cette façon auront une avance.» Et de conclure : «La tech et l'immobilier doivent entrer en collision.» Loin de cette image de film catastrophe, la marche à suivre est assez simple. «Si l'on connecte un immeuble, il va fournir des données qui vont aider le propriétaire à réduire ses consommations et créer des actifs qui ne deviendront pas obsolètes.»
A cette «conversation au coin du feu» (son intitulé), participait en chair et en os Meka Brunel, présidente de la foncière Gecina et par ailleurs en affaire avec Brendan Wallace. Avec elle, le public est revenu sur un terrain plus familier. «Dans le secteur des bureaux, il y a quarante ans, les sièges sociaux étaient liés à l'ego du dirigeant, aux signes, avec le bureau au sommet et la vue sur l'empire, a-t-elle expliqué. Aujourd'hui, nous avons davantage besoin de lieux partagés que de lieux possédés.»
Lois de Moore
Conscients sans doute du niveau moyen de techno-connaissance des visiteurs, Propel by Mipim leur a réservé une formation accélérée grâce à la «keynote» de Gilles Babinet, président de Laitao. Partant des conjectures de Gordon Moore qui, en 1965, prédisait que la puissance de calcul des processeurs doublerait tous les dix-huit mois, il arrive jusqu'à l'intelligence artificielle et la voiture autonome après avoir fait défiler moult photos, schémas et courbes. Quarante minutes chrono.
Comme Babinet s'adresse au public de l'immobilier, il fait un détour par leur secteur, «très gros consommateur de numérique». Il évoque les «écosystèmes où les services sont intégrés» et conseille de «regarder la galaxie qui gravite autour d'Airbnb pour s'en inspirer». Leur pire ennemi des agents immobiliers. Après quoi, il ajoute : «Il est très intéressant de penser son métier en flux. Il faut arrêter de penser fourniture de bâti fini». Quand même un peu la base du métier. Dans la salle, un agent des Hauts-de-Seine ose une question : «Vous pouvez préciser pour les flux ?» Babinet répond avec, pour faire simple, une gestion améliorée de ce qui rentre et ce qui sort.
Reconnaissance faciale et truites
Autre moment déstabilisant, la conférence intitulée : «La campagne, le futur ?» On pourrait croire qu'il va être question de l'envie de verdure qu'ont eue les citadins après l'épreuve de confinement mais pas du tout. Le sujet, c'est la campagne du futur. Modélisée, monitorée, calculée, gérée par les algorithmes, nourrie en goutte à goutte sous lumière artificielle. Samir Bantal, ancien promoteur et directeur dans l'agence d'architecture OMA du néerlandais Rem Koolhaas, s'exprime en visio depuis les Etats-Unis et, preuve qu'il s'est levé tôt lui aussi, peine à activer le partage d'écrans.
Rem Koolhaas, star mondiale de l'architecture, présente en ce moment au musée Guggenheim de New York une exposition sur l'évolution planétaire des campagnes dont Bantal est le commissaire. Plutôt flippante. Elle va des villages chinois qui se spécialisent dans les produits conçus pour être vendus par Alibaba aux consommateurs que ces paysans entassés dans des immeubles de trente étages sont devenus, jusqu'aux hangars de cultures hors sol baignant dans une lumière rose, en passant par une forêt de satellites. A un moment, Samir Bantal explique très sérieusement que «la reconnaissance faciale permet de détecter les truites malades dans les élevages piscicoles». Belle prouesse technique en effet.
Le métier à l’ancienne
Mais voilà qu’après cette avalanche de tech, arrive sur scène une figure familière du milieu, Philippe Journo. Fondateur et président de la Compagnie de Phalsbourg, pas technoïde pour un sou, Journo est un promoteur à l’ancienne, le type avec qui on tope direct vu que le patron, c’est lui et pas la Bourse.
Journo construit des centres commerciaux qu'il gère. Une activité bouleversée par le virus. Le journaliste lui demande comment il a réagi à la crise sanitaire. «Dès le 10 mars, j'ai annoncé qu'on annulait tous les loyers pendant la fermeture, ce qui ne m'a pas valu que des amis dans les foncières.» En effet, malgré les demandes des commerçants de leurs centres, aucune des grandes foncières d'immobilier commercial n'a fait cadeau des loyers. A combien le cadeau ? «20 millions d'euros.» Le prix du beau rôle. Les centres de la Compagnie de Phalsbourg ont rouvert les premiers.
Alors, quid de la technologie ? «Chaque révolution a élargi son marché. Les aéroports ont élargi le marché des ports, analyse Journo. La révolution numérique, c'est avant tout des gains en productivité, beaucoup d'ouverture mais la difficulté, c'est qu'elle crée très peu d'emplois. Ce qu'il faut éviter, c'est que le rôle l'humain soit seulement un rôle de consommateur.» On peut être un fabricant de boutiques et dire ça ? Si l'on considère comme lui que «l'humain a besoin de sociabilité», on peut admettre qu'il en reste davantage dans les allées d'un centre commercial que sur une plateforme de vente en ligne.