C’est un rendez-vous judiciaire important qui attend, ce mercredi matin au tribunal de Paris, le théologien Tariq Ramadan, sous le coup de plusieurs accusations de viols en France et en Suisse. Venu de Genève, le procureur Adrian Holloway, en charge de l’instruction du volet suisse, organise entre Tariq Ramadan et l’une de ses accusatrices une confrontation capitale pour la suite de cette affaire. «Brigitte» (un prénom d’emprunt) a déposé plainte, en Suisse, le 13 avril 2018. Dans le contexte de #Metoo, l’affaire Ramadan avait démarré, en France, quelques mois plus tôt, précisément en octobre 2017, Henda Ayari et celle que la presse a surnommé Christelle, accusant Tariq Ramadan de viols. Des faits qu’il dément.
Âgée d'une cinquantaine d'années, Brigitte, convertie à l'islam à l'adolescence, accuse le théologien de l'avoir violée et séquestrée dans la nuit du 28 au 29 octobre 2008, dans un hôtel de Genève, en marge d'une conférence privée. «Monsieur Ramadan a reconnu qu'il connaissait la plaignante et qu'il y a bien rendez-vous avec elle», précise, à Libération, Me Pascal Garbarini, l'un de ses avocats. Toutefois, le théologien réfute les accusations de viol et toutes violences sexuelles. Selon l'entourage du théologien, ce serait Brigitte qui aurait sollicité la rencontre du 28 octobre 2008.
D'après son témoignage recueilli il y a deux ans à Genève par Libération, la plaignante suisse aurait rencontré Tariq Ramadan pour la première fois fin août 2008, lors d'une signature, organisée dans une grande librairie genevoise pour la parution de l'un de ses livres. Après s'être revus une seconde fois à l'occasion d'une conférence, en Suisse, ils auraient entamé une correspondance, des échanges strictement intellectuels, exempts, selon Brigitte, de propositions sexuelles.
Crainte d’une fuite à l’étranger
Cette relation aurait pris un tour dramatique dans la nuit du 28 au 29 octobre 2008. Selon le témoignage de la plaignante, Tariq Ramadan, à son arrivée dans la chambre, «s'est baissé pour brancher ou débrancher un appareil. Je me trouvais alors derrière lui […]. Au moment où il s'est redressé, son visage s'est transformé». Le prédicateur l'aurait immédiatement «basculée sur le lit». Brigitte lui aurait demandé d'arrêter, refusant de l'embrasser. «Il me disait qu'il n'y avait que deux catégories de femmes qui refusaient d'embrasser : les prostituées et les espionnes. Il m'a alors redemandé si j'étais des RG. Je n'ai pas crié de peur qu'il me frappe. Il s'est mis à m'insulter. J'ai eu peur de mourir», raconte-t-elle.
Le 16 juillet dernier, le procureur suisse Adrian Holloway, en charge de l'enquête, a auditionné à Paris le théologien pendant trois heures. Malgré les demandes formulées par le parquet genevois, les juges français avaient refusé en 2019 que Ramadan se rende à Genève pour y être entendu, redoutant une fuite à l'étranger. Mis en examen dans quatre autres affaires de viols présumés en France, Tariq Ramadan fait l'objet d'un strict contrôle judiciaire, lui interdisant de quitter la France et l'obligeant à pointer une fois par semaine au commissariat.
«Des éléments factuels ont été donnés au procureur, cela nous permet d'envisager la suite avec sérénité», estimait, mardi soir, Me Garbarini, à la veille de la confrontation entre son client et Brigitte. L'avocat s'étonne aussi qu'elle ait porté plainte aussi tardivement. Un argument balayé par la défense de la quinquagénaire. Comme en France, en matière de viol, le délai de prescription court dix ans après les faits présumés. Selon une source proche du dossier, le théologien, lors de son audition le 16 juillet par le procureur Holloway, a reconnu que la plaignante s'était effectivement rendue dans sa chambre et qu'il y aurait eu, entre eux, des «ébats». «Monsieur Ramadan réserve ses explications au procureur», répond, de son côté, Me Garbarini.
«Emprise partielle»
«Nous sommes confiants, déterminés et organisés», déclare à Libération Me Grégoire Leclerc, l'un des avocats français de Brigitte. Selon une source proche du dossier, le volet suisse de l'affaire Ramadan serait l'un des plus solides. Au fur et à mesure de l'enquête judiciaire, deux accusatrices du théologien ont, en France, été mises en difficulté par la révélation d'échanges numériques qui ont eu lieu après les viols présumés.
Réorganisée au début de l'été 2020, la défense de Ramadan demeure offensive. Devant la chambre de l'instruction, elle conteste la validité d'une expertise psychiatrique, versée en avril dernier au dossier, qui concluait à une «emprise partielle» exercée par le théologien sur les femmes qui l'accusent de viols. La notion de consentement est, en effet, au cœur de cette affaire complexe qui touche la personnalité la plus emblématique de l'islam francophone.
Pour sa part, Tariq Ramadan, devenu persona non grata dans la plupart des mosquées françaises et suspendu de son enseignement à l’université d’Oxford, a annoncé, fin août, la création d’un centre de formation sur l’islam. Y seront également abordées, selon le théologien, des questions écologiques et féministes. Au regard des accusations dont il fait l’objet, cette annonce, comme souvent avec Tariq Ramadan, a soulevé la polémique.