Au cœur du Paris des affaires, l'endroit porte un nom furieusement technologique, qui fleure la «disruption» par tous les murs : le «Hub Lab». Sous une belle verrière, une «table ronde» est convoquée ce matin-là sur la 5G. L'événement ressemble moins à un débat sur la pertinence de ce nouveau mode de connexion mobile qu'à une opération de lobbying pour dire combien il serait nécessaire. Auteur d'un rapport pro-5G pour le think tank libéral Fondation Concorde, Nicolas Sironneau démarre par l'argument massue : «Les réseaux mobiles seront bientôt à saturation, en 2022-2023», d'où le besoin, selon lui, de franchir un cap technologique si l'on veut «continuer les applications du quotidien». Mais, avec «son temps de latence plus faible» qui permet de transmettre les informations dix fois plus vite que la 4G, la 5G est la promesse de «nouveaux services», par la mise en réseau de toutes sortes de machines qui communiqueront en temps réel.
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«Verglas». Le consultant a des exemples plein les poches. Dans l'agriculture, des capteurs installés renseigneront de façon continue sur «l'état des champs», leur taux d'humidité et la présence éventuelle de maladies. C'est l'assurance d'un «gain de productivité de 33 %», assure-t-il. Nicolas Sironneau promet une révolution de sécurité dans «l'industrie de la mobilité». Demain, grâce à la 5G, «une voiture transmettra des informations, sur la présence d'une plaque de verglas ou d'un animal, à celle qui arrive derrière. En France, ce sont 3 800 vies qui pourraient être épargnées chaque année.» Comment un esprit raisonnable pourrait-il dire non à ce monde merveilleux ? «Pour la somme d'objets connectés demain, la 4G ne suffirait pas», approuve Lionel Morand, un cadre d'Orange assis à côté du consultant.
Sur scène, tout le monde est d’accord. Ce n’est pas sans rapport avec le fait que l’organisateur de la réunion est Huawei, le géant chinois des télécommunications. Le leader mondial des équipements 5G est perçu aux Etats-Unis et dans de nombreux pays européens comme une menace à la sécurité nationale à cause de ses liens troubles avec le régime chinois. Cet été, la France a décidé de limiter à une durée comprise entre trois et huit ans maximum les autorisations, pour les opérateurs, d’utiliser du matériel Huawei. Malgré cela, l’entreprise poursuit son entreprise de séduction et promet de doubler d’ici quatre ans ses dépenses en France, à quatre milliards d’euros. A défaut d’être au cœur du réseau 5G, elle s’imagine en fournisseur d’équipements d’un monde connecté construit sur cette nouvelle architecture de transmission.
Huawei a trouvé un excellent avocat en la personne de Jacques Biot, président de l'Ecole polytechnique (X) entre 2013 et 2018. «La 5G, je l'ai découverte dans les laboratoires de l'X. Tous les chercheurs attendaient la 5G ! Ce n'est pas un produit poussé par des ingénieurs fous», explique celui qui a été nommé administrateur de Huawei France (tout comme l'ex-ministre socialiste Jean-Marie Le Guen, qui vient de remplacer Jean-Louis Borloo dans ce cénacle). A écouter Jacques Biot, la 5G n'est même pas tant une avancée scientifique que l'évolution naturelle de notre rapport cognitif au monde : «La vie humaine consiste à capter des données, que l'esprit transforme pour faire des actions.» Or la 5G ne fait que reproduire ce schéma à grande échelle, à l'aide d'algorithmes.
Pour l'ex- patron de l'X, l'enjeu est au fond écologique : «L'humanité a un problème d'exploitation de ses ressources. Elle ne peut plus faire cela seule, de façon autonome. Il faut faire communiquer les objets entre eux pour réguler l'usage des ressources naturelles.» Compris, les écolos ?
Surveillance. Le territoire pourrait bientôt être quadrillé de microcapteurs se parlant les uns aux autres : on parle d'un million d'objets connectés au kilomètre carré demain… La 5G ne créerait-elle pas plutôt le cauchemar dystopique d'une surveillance de masse ? Nicolas Sironneau a réponse à tout : «C'est en apprivoisant cette technologie qu'on pourra la modeler. Si on attend, elle sera dessinée par les Etats-Unis et les pays asiatiques. Ce n'est pas en reculant qu'on pourra le faire. Il faut accepter la technologie.» C'est si simple.