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Interview

«Berger, un des métiers où le droit du travail est le moins respecté»

Syndicaliste à la CGT et berger, Laurent Four milite pour mieux protéger son métier. Une mission qui se heurte aux traditions et à un dialogue en panne.
David, berger, doit faire une heure et demie de marche pour rejoindre ses 620 brebis. (Photo Laurent Carré)
publié le 28 septembre 2020 à 19h56

Berger depuis dix-huit ans, Laurent Four a cofondé en 2013 le Syndicat des gardiens de troupeaux de l’Isère (SGT38), affilié à la CGT. Logement, temps de travail… Le trésorier de section lutte pour que son métier soit mieux respecté par les employeurs, notamment via des avenants aux conventions collectives dans chaque département.

Pourquoi un syndicat des bergers ?

Ce métier fait rêver. L’homme ou la femme libre, au soleil, au contact des animaux et de la nature… Mais il s’agit bel et bien d’un métier, avec ses propres problématiques comme dans n’importe quel travail. Nous devons sans cesse négocier avec l’employeur, c’est-à-dire l’éleveur ou le groupement d’éleveurs. Ce qui est difficile, car la corporation est très isolée. Le métier de berger est l’un de ceux où le droit du travail est le moins respecté.

A quels problèmes êtes-vous confrontés ?

Nous n’avons parfois ni eau ni électricité ; 80 % des cabanes d’alpage sont dans un état insalubre. Si on fait ce métier pendant deux ans, c’est presque amusant. Au-delà, ça commence à devenir pénible. Le temps de travail est bafoué. L’employeur nous glisse 100 euros au black pour compenser notre jour de repos sacrifié. Par ailleurs, en dix-huit ans, je n’ai vu qu’un seul collègue embauché en CDI. En 2016, la cour d’appel de Grenoble a requalifié en CDI les CDD successifs qui liaient un berger à un groupement pastoral dans l’Isère. La CGT l’a accompagné. C’est une victoire collective, mais la jurisprudence n’est pas appliquée.

Que revendiquez-vous ?

Signer un avenant «berger» à la convention collective production agricole. Nous ne pouvons pas être soumis à des dispositions générales comme les autres salariés du secteur, ramasseurs de fruits ou employés du Crédit agricole. Nous sommes parvenus à négocier dans trois départements : l'Ariège, les Alpes-de-Haute-Provence et les Hautes-Alpes. Au niveau national, c'est plus délicat : les tractations ont eu lieu directement au siège de la FNSEA [le syndicat majoritaire a annoncé le 22 septembre un accord entre le patronat, les coopératives de partage de matériel et cinq organisations de salariés, qui fixe notamment une grille de salaires minimum, mais il reste pour bonne partie inapplicable à la situation spécifique des bergers, ndlr].

Les éleveurs se plaignent de difficultés économiques. Comment peuvent-ils répondre à vos demandes ?

Lorsque nous prenons soin de 1 500 têtes de bétail, nous supportons la charge de centaines de milliers d’euros. Nous faisons gagner des kilos de viande aux éleveurs pendant l’alpage. Ajoutons que 80 % de notre salaire est financé par l’Union européenne. Rien ne nous oblige à exercer dans la précarité.

Quid de la féminisation du métier ?

Politiquement, elle est logique et nécessaire. Sociologiquement, inquiétante, car on sait que les métiers féminins sont hélas les moins valorisés et donc les plus dégradés. Une bergère enceinte de six mois doit arrêter et sera difficilement reconduite l’année suivante. Une situation inacceptable.

Pourquoi y a-t-il seulement sept bergers syndiqués à la CGT ?

Ce n’est pas par peur de l’employeur : les bergers trouveront toujours du travail. Mais ils sont attachés à la tradition. Ils se plaignent de mauvaises conditions… et puis ils s’y font, ils se disent qu’elles s’inscrivent dans un folklore, que c’est la contrepartie de leur liberté. Les jeunes arrêtent au bout de cinq ans. Ce turnover ne facilite pas l’élaboration d’une conscience collective et, pourtant, c’est bien le signe que quelque chose ne marche pas. Autre obstacle : nous discutons peu. Internet et le téléphone passent mal en montagne. Le berger est un animal solitaire.