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Comptes publics

Covid-19 : les comptes sociaux plombés au moins jusqu'en 2024

Dans son projet de loi de finance pour la Sécu présenté mardi, le gouvernement anticipe un déficit de près de 30 milliards d'euros l'an prochain, après 44,4 milliards d’euros en 2020. L'hôpital public va recevoir près de 8 milliards de crédits supplémentaires.
Un conseiller de la caisse primaire d'assurance maladie du département du Bas-Rhin, le 25 mai. (FREDERICK FLORIN/Photo Frederick Florin. AFP)
publié le 29 septembre 2020 à 19h22

«C'est un tout qui continue de s'enchevêtrer.» Lors de la présentation du budget prévisionnel de la Sécurité sociale pour 2021, le ministre de la Santé, Olivier Véran, a laissé échapper cette expression pour résumer l'extrême difficulté dans laquelle se trouvent les comptes sociaux après sept mois d'une crise sanitaire dont personne ne connaît la facture finale. A ce stade, on sait depuis ce mardi que la Sécu, qui n'était plus si loin de revenir à l'équilibre et devait y parvenir en 2021, va voir ses finances dévisser dans les grandes largeurs cette année et la prochaine, sans aucune perspective de revenir dans le vert.

Estimé il y a un an, lors du précédent exercice budgétaire, à 5,4 milliards d’euros, le déficit du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse est désormais attendu à 44,4 milliards d’euros au 31 décembre. C’est certes un peu moins que les 52,2 milliards anticipés en juin en raison d’une récession légèrement revue à la baisse : -10% au lieu de -11% précédemment, pour 2020. Mais le choc provoqué par l’irruption du Covid-19 s’annonce très durable. Avec une récession économique qui a entraîné une chute brutale des rentrées de cotisations sociales payées par les employeurs et leurs employés et qui financent l’essentiel de la Sécu, les comptes sociaux ont plongé tandis que les dépenses exceptionnelles liées à la lutte contre la pandémie (achats de masques et de matériel médical, remboursements de tests et paiement de primes au personnel soignant, etc.) ont explosé. Un redoutable effet de ciseau et au final une facture évaluée à près de 15 milliards d’euros. Comme ni l’année ni l’épidémie ne touchent à leur fin, une révision à la hausse de ces dépenses est encore possible.

Cinquième branche

En dépit d’un fort rebond de l’activité attendue à +8% de croissance l’an prochain, la prévision de déficit s’élèvera encore à 27,1 milliards. Outre les 4,3 milliards d’euros déjà provisionnés pour lutter contre l’épidémie, dont 1,5 milliard pour une éventuelle campagne de vaccination, 7,9 milliards d’euros de dépenses nouvelles vont servir à financer les «accords de Ségur» signés en juillet. 5,8 milliards seront dédiés à la revalorisation des salaires des soignants (+183 euros net par mois en moyenne pour les personnels de l’hôpital public) et 1,7 milliard aux investissements dans le système de santé. Autre dépense supplémentaire annoncée la semaine dernière par Emmanuel Macron : l’allongement, à partir de juillet prochain, de la durée du congé paternité qui passera de quatorze à vingt-huit jours, dont sept obligatoires, mettant ainsi la France dans la moyenne européenne. Une mesure financée par la branche famille de la sécu et estimée à 260 millions d’euros en 2021 avant 520 millions en année pleine, à partir de 2022.

Parmi les autres nouveautés de ce projet de loi figure également la création d’une cinquième branche de la sécurité sociale dédiée à la perte d’autonomie et destinée à financer les dépenses spécifiques liées au grand âge. S’ajoutant aux quatre branches déjà existantes – maladie, retraite, famille, accidents du travail – redevenues toutes déficitaires cette année pour la première fois depuis 2012, elle bénéficiera de recettes propres prélevées sur le produit de la CSG, soit un peu plus de 1 milliard d’euros l’an prochain.

«Cocktail de mesures nouvelles»

Aucune mesure d'économie ou prélèvement nouveau n'est prévu l'an prochain. «On sera encore dans la crise sanitaire et il serait prématuré de s'y attaquer dès maintenant, explique-t-on dans l'entourage des ministres des comptes publics et de la santé qui ont présenté ce projet de loi de financement de la Sécu 2021. Mais pour revenir à l'équilibre sur le long terme, on ne pourra pas se contenter des outils actuels et on aura besoin d'imaginer un cocktail de mesures nouvelles.» Alors que la perspective d'un retour à l'équilibre s'éloigne – en 2024, le déficit de la sécu est encore attendu à plus de 20 milliards d'euros –, Olivier Veran a précisé que «l'heure n'est pas venue d'inscrire des mesures strictes dans le marbre de la loi». Dans le document de présentation de leur projet de loi, les deux ministres n'en concluent pas moins leur «édito» en indiquant que pour «garantir la pérennité du financement de notre protection sociale, nous ne pourrons pas faire l'impasse d'une nécessaire maîtrise de nos dépenses». Parmi les rares mesures sur la table pour y parvenir, la réforme des retraites reste sur le haut de la pile. Selon les prévisions du gouvernement, le déficit du régime de retraites atteindra 9,3 milliards d'euros à l'horizon 2024.

Interrogé sur l'endettement du système français de protection sociale, Olivier Véran s'est voulu rassurant sur sa solidité mise à très rude épreuve depuis le début de la pandémie. «La sécu a toujours payé ses dettes, a-t-il affirmé, en rappelant que 136 milliards d'euros de dette sociale venaient d'être récemment transférés à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) afin de la «sécuriser». Cette structure de «défaisance» mise sur pied en 1996 pour «éponger» les dettes de la Sécu en émettant des emprunts sur les marchés financiers remboursés par des ponctions sur les recettes fiscales et le fonds de réserve des retraites devait initialement disparaître en 2024, après avoir apuré près de 190 milliards d'euros de trou de la Sécu. Mais pour cause de Covid, sa durée de vie a été prolongée jusqu'en 2033. Neuf années de plus, comme l'a avalisé le Parlement cet été.