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Libération
Chronique «Vous êtes ici»

La malédiction des vilains grillages

Chaque semaine, une histoire de villes, d'architecture et d'enjeux urbains. Aujourd'hui, le mystère de la perte du goût chez les gestionnaires d'espaces publics.
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publié le 1er octobre 2020 à 18h13

Il y a bien longtemps, circa 1860, Jean-Charles Adolphe Alphand mit au point une série de dispositifs destinés à agrémenter les «promenades de Paris». Aucun détail n'échappait à ce fidèle du préfet Haussmann. Les arbres, les plantes, les fontaines, les réverbères, les kiosques, les bancs, les colonnes Morris et même les grilles au pied des arbres : tout était dessiné, aligné, prévu. Nombre de ces créations sont encore là et si l'on reconnaît Paris dans les films, c'est en partie grâce à elles.

Faudrait-il ne plus toucher à rien ? Evidemment pas. Les temps changent, les besoins et l’espace public aussi. Mais ce que l’on pourrait conserver en revanche, c’est l’état d’esprit de l’époque. Une forme de souci du détail, de méticulosité couplée à un sens de l’ensemble. Même face à l’urgence ou aux problèmes, on n’est pas obligé de se précipiter sur la première solution tirée d’un catalogue, garantie 100% robuste et anti-vandalisme. C’est pourtant ce qui se passe, avec quantité de bonnes raisons.

Du moment que c’est solide…

Est-ce moins cher ? On voit maintenant dans Paris ces grillages métalliques qui entourent les parkings dans les zones d’activités de la grande couronne. Ils apparaissent pour des raisons étranges : fermer encore davantage un jardin public pendant le confinement, empêcher l’accès à un talus vertical que seul un singe pourrait escalader, border l’ex-petite ceinture transformée à la va-vite en promenade piétonne.

Grillage typique de plus en plus utilisé dans les espaces urbains.

Photo Jacques Loic. Getty Images

On peut aussi citer les bacs de plantation qu'on sort et qu'on rentre, les potelets anti-stationnement qui semblent n'avoir jamais fait l'objet de la moindre réflexion esthétique. Du moment que c'est solide… Les tentatives récentes pour des abris à vélo laissent craindre le pire et pourtant, abriter le vélo, c'est indispensable. Constater que les bistrotiers, en bricolant des terrasses avec trois planches, ont créé davantage de poésie urbaine que les gens dont c'est supposé être le métier laisse songeur.

Cette perte de la culture de l'espace public est-elle une fatalité irrattrapable ? Le coup d'accélération récent donné aux pistes cyclables va constituer un test intéressant. Pour le moment, la ville a sorti la peinture jaune, la couleur des aménagements temporaires, très bien. Mais maintenant que les pistes vont devenir définitives, que va-t-on faire ? Tracer une ligne blanche au sol rue de Rivoli comme sur l'A86 ? Ou réfléchir au superbe espace public qui vient d'être conquis sur la voiture ? Paris gagnerait à dénicher l'Alphand de son temps.