C'est la première ressource industrielle de Nouvelle-Calédonie : le nickel, dit «métal du diable», a fait une entrée fracassante dans la campagne pour le référendum d'autodétermination qui doit se tenir dimanche. Début septembre, le groupe brésilien Vale a annoncé qu'il lâchait son usine de Goro, dans le sud de la Grande Terre. Jusqu'à récemment, il y avait deux candidats déclarés à la reprise, mais l'australien New Century Resources (NCR), favori de Vale et vu d'un bon œil par les autorités loyalistes de la province Sud, a jeté l'éponge début septembre. L'entreprise s'est contentée d'indiquer qu'elle n'était pas parvenue à boucler son tour de table à 830 millions d'euros. Mais il n'a échappé à personne, et surtout pas au camp loyaliste furieux, que l'hostilité des indépendantistes envers ce repreneur étranger n'avait rien pour encourager NCR à s'installer sur le Caillou.
En août, par exemple, un millier de personnes ont manifesté sous la bannière du collectif «Usine du Sud = Usine Pays» et drapeaux kanak en main. Il faut dire qu'en dépit de la fabuleuse richesse enfouie sous son domaine minier, Vale NC n'est pas vraiment une affaire qui roule. Pas plus que les deux autres entreprises métallurgiques du pays. Plombée par des coûts de production élevés, l'historique SLN, filiale d'Eramet, est en grande difficulté financière tandis que KNS, propriété de la province Nord indépendantiste, plafonne à 30 % de la productivité attendue.
Mais le nickel représente 8 % du PIB du Caillou, qui en possède un quart des réserves mondiales, et reste un enjeu local crucial. L'immense complexe industriel et minier de Goro, dimensionné pour produire 60 000 tonnes d'hydroxyde de nickel et 4 500 tonnes de cobalt par an, a connu depuis sa mise en service en 2008 des déboires techniques en série. Leur impact environnemental - fuites d'acide dans le lagon et les cours d'eau notamment - suscite l'ire de la population kanak des alentours, viscéralement attachée au milieu naturel dont elle dépend pour l'agriculture et la pêche. «Nos anciens disaient que l'argent ne fait que passer et que la vraie richesse, c'est l'igname et le poisson. Qu'est-ce qui arrivera si la pollution détruit ces ressources ?» interroge André Vama, habitant de la tribu de Goro, président de l'Observatoire de l'environnement en Nouvelle-Calédonie et responsable du comité de défense de la nature Rhéébu Nùù.
Un business au service des Kanak ?
D'arrêts techniques en manifestations et blocages, l'usine n'a jamais atteint les objectifs de production escomptés : au total, Vale NC a perdu plus d'1 milliard et demi d'euros ces six dernières années. Mais Antonin Beurrier, le PDG de Vale NC, se débat pour tenter de sauver son navire : l'énarque vient de présenter à ses 1 285 salariés un programme d'actionnariat salarié bien accueilli par le Soenc Nickel, le syndicat majoritaire à Goro. «Antonin Beurrier propose de réduire significativement son salaire et celui des directeurs, salue Pierre Tuiteala, le secrétaire général du Soenc Nickel. La négociation est en cours pour le reste du personnel, avec l'objectif d'abaisser la masse salariale de 10 à 8 milliards de francs CFP.»
De plus, l'usine a réduit ses dépenses en se recentrant sur la production de nickel hydroxide cake (NHC), un produit moins raffiné convoité par les fabricants de batteries de voitures électriques. «Depuis deux mois, l'usine est rentable, assure le syndicaliste. Cela devrait permettre de sauver les emplois et d'intéresser un repreneur sérieux, de carrure mondiale, après le désistement de NCR.»
Pour être sûr d'éviter la fermeture de l'entreprise, il y aura des conditions préalables. Finaliser le «projet Lucy», un investissement de l'ordre de 500 millions d'euros qui doit permettre à l'usine de résoudre son problème urgent de stockage des boues résiduelles, cocktail chimico-minéral nocif dont elle recrache plus d'une tonne par tonne de métal extrait. Et obtenir un délai de grâce de la part de la maison mère Vale, qui prévoit en principe de mettre la clé sous la porte en fin d'année, ce qui laisserait 5 000 personnes sur le carreau, salariés, sous-traitants et emplois induits. Une bombe sociale à l'échelle de ce territoire de 270 000 habitants.
Après la défection de NCR, l’autre candidat pour la reprise de l’usine est celui du pays, et jouit de la bénédiction des partis indépendantistes. C’est la société de financement et d’investissement de la province Nord (Sofinor) en tandem avec le sud-coréen Korea Zinc, l’un des quatre spécialistes mondiaux de l’hydrométallurgie. L’offre de rachat est pilotée par André Dang, homme d’affaires calédonien d’origine vietnamienne dont le père est mort dans les mines du massif du Koniambo, au temps où la main-d’œuvre importée y menait une vie de forçat, dans les années 30. Ayant fait fortune en Australie dans le commerce des roses, Dang, qui était proche du leader indépendantiste Jean-Marie Tjibaou, s’est promis de mettre son sens du business au service des Kanak, en les aidant à prendre le contrôle des richesses de leur sous-sol.
Il y est parvenu en province Nord à travers le projet KNS, détenu majoritairement par Sofinor. Dang n'est pas le genre à douter : «Je suis certain que KNS arrivera à pleine productivité d'ici trois ans et que nous pouvons appliquer le même modèle économique à Goro, avec l'appui de notre partenaire industriel Korea Zinc.» L'affaire est beaucoup moins entendue pour les élus du Soenc Nickel. «Cette offre est une mascarade, s'alarme Tuiteala. KNS a 1 200 milliards CFP de dettes et n'arrive pas à monter en puissance, comment Sofinor peut-elle espérer redresser la situation à Goro avec ce passif ?»
«L’un des plus beaux gisements»
La province Sud va encore plus loin dans le scepticisme. «J'ai la conviction qu'André Dang ne travaille pas pour pouvoir racheter mais pour faire échouer la vente», a accusé lundi sa présidente Sonia Backès dans les colonnes des Nouvelles calédoniennes. La dirigeante dit être de son côté en contact avec «cinq grands groupes, vraiment sérieux, qui ont tout ce qu'il faut pour nous sauver en entrant au capital, voire en prenant le contrôle» de Goro. Pas de quoi troubler le patron de la Sofinor, qui compte sur l'expertise et la solidité financière de son associé coréen pour assurer la viabilité de l'usine. «En contrepartie, ils auront accès à l'un des plus beaux gisements de minerai de nickel au monde, ce sera gagnant-gagnant», sourit Dang. Un troisième candidat s'est récemment porté acquéreur auprès de la banque Rothschild, chargée de la vente par Vale mais on ne sait encore rien sur lui. A part qu'il lui faudra des reins solides et de gros atouts pour aller contre la volonté du seigneur indépendantiste du nickel.