C'est un chiffre qui claque et une annonce très opportune au moment où plusieurs pays, dont la France, cherchent à imposer à Google un droit voisin rémunérant la reprise d'extraits d'articles. Selon l'annonce faite ce jeudi en personne par le son patron Sundar Pichai dans un billet de blog, le leader des moteurs de recherche va investir «1 milliard de dollars» dans des partenariats payants avec des éditeurs de presse à travers le monde. «Cet engagement financier, écrit-il, rémunérera des éditeurs pour créer et sélectionner des contenus de haute qualité».
Ces accords de licence vont permettre à 200 éditeurs d'être payés en échange de la mise en avant de leurs articles dans un «Google News Showcase». Parmi ceux qui ont déjà signé, Google cite des publications allemandes (Der Spiegel, Stern, Die Zeit), brésiliennes (Folha de S.Paulo, GZH) ainsi que d'autres titres plus locaux comme le canadien SooToday, l'argentin El Litoral, etc. Le message est clair : Google n'est pas opposé à rémunérer la presse, mais selon ses conditions.
Disponible dès maintenant sur l'application Google News sur Android avant de s'étendre à sa version iOS d'Apple puis sur Google Discover (un service de recherche personnalisée) et directement sur le moteur de recherche, News Showcase laissera directement aux éditeurs le choix des articles mis en avant, manuellement et sans recours à un algorithme. Ces derniers, poursuit le PDG de Google, bénéficieront d'espaces dédiés afin de les enrichir grâce à des chronologies, des découpages de présentation et plus tard de la vidéo et de l'audio. Google paiera donc pour permettre à ces articles normalement protégés par un paywall d'être accessibles gratuitement et renverra les lecteurs vers les sites des éditeurs.
Bataille au point mort
Une vitrine alléchante que le moteur de recherche a déjà proposé de rejoindre à certains éditeurs de l'Alliance de la presse d'information générale qui regroupe 287 titres français (dont Libération). Ces derniers tentent, sans succès jusqu'ici, d'obtenir de l'entreprise un accord pour rémunérer un droit voisin consacré par la directive européenne sur le droit d'auteur et transposée dans le droit français dès octobre 2019. Une bataille pour l'heure au point mort, et qui bute sur le refus de Google d'accepter le principe de ce paiement pour la reprise de titres d'articles, avec liens, courts extraits et photos de l'ensemble des titres indexés sur sa plateforme.
Alors que nombre d’éditeurs ne se disent pas hostiles à des partenariats qui viendraient en complément – et non en substitution d’un accord sur le droit voisin, Google rétorque que la rémunération de ce dernier resterait dans tous les cas faible, créant de surcroît un précédent mondial de nature à transformer tout le modèle économique de la recherche en ligne. A l’inverse, plaide-t-il, ses accords de licence couvriraient ce droit et seraient susceptibles d’apporter une compensation financière plus importante. Des montants annuels par titre allant de 100 000 à 1 million de dollars (de 85 000 à 851 000 euros) ont été évoqués durant les négociations.
Un chiffrage que réfutent les éditeurs de presse qui au départ avaient estimé jusqu’à 300 millions d’euros et même un peu plus – dans la fourchette haute – les revenus potentiels annuels du futur droit voisin. Ces derniers doivent par ailleurs trouver un accord sur la clé de répartition permettant de se le répartir. Certains militent pour que ses revenus soient indexés au clic, en fonction de l’audience de chaque article tandis que d’autres plaident pour les déterminer en fonction du nombre de journalistes dans chaque média.
«Saper la législation»
Saisie par les éditeurs de presse, l'Autorité de la concurrence avait donné trois mois à Google en avril pour négocier avec eux «de bonne foi» un accord de droit voisin puis prolongé ce délai d'un mois. Google a fait appel de cette décision, mais cet appel n'est pas suspensif et le géant américain doit donc l'appliquer, a indiqué début septembre sa présidente, Isabelle de Silva. La situation française est suivie «de très près en Europe» disait-elle alors, la France ayant été le premier pays à transposer dans son droit la directive européenne.
Afin de débloquer la situation, les éditeurs français ont demandé la nomination d’un médiateur et une astreinte financière. Les prochaines décisions sont attendues dans les prochains jours.
Alors que d'autres plateformes, comme Facebook, qui a également proposé son propre système de rémunération suit attentivement ce bras de fer, diverses voix ont mis en garde les éditeurs contre une stratégie visant à les diviser en multipliant les accords de gré à gré avec des médias sélectionnés et afin d'éviter de se voir imposer des règles trop contraignantes. «Il est clair que Google ressent la pression de la législation et des mesures gouvernementales conçues pour les amener à la table des négociations, a ainsi jugé jeudi soir l'European Publishers Council (EPC), qui représente les intérêts de grands éditeurs européens parmi lesquels The Guardian, l'allemand Alex Springer ou le belge Rossel. En lançant leur propre produit, ils peuvent dicter les termes et conditions, saper la législation conçue pour créer les conditions d'une négociation équitable, tout en affirmant qu'ils contribuent à financer la production de nouvelles.» On ne saurait dire mieux.