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Libération
Éditorial

Fantasmes

publié le 4 octobre 2020 à 20h51

Inconscients notoires pour les uns, optimistes visionnaires pour les autres, les «rassuristes» (néologisme né sur les réseaux sociaux) l’assurent : on s’inquiète trop. Le million de morts comptabilisé à l’échelle mondiale depuis le début de la pandémie ? Une catastrophe indéniable, mais loin de l’hécatombe annoncée par les projections les plus alarmistes de scientifiques, dont certaines prévoyaient début mars jusqu’à 500 000 morts pour le seul territoire français. Pas de quoi justifier, à leurs yeux, les privations de liberté imposées par le confinement ou l’effondrement économique obligeant les Etats à mettre le monde sous perfusion.

Ces positivistes forcenés, Didier Raoult en tête, ne craignent pas la controverse, sûrs d’avoir raison : l’épidémie est en bout de course, le virus moins dangereux car moins virulent. L’argumentaire est court, mais le message, variation sanitaire de la méthode Coué, séduit ceux que le son du tocsin effraie. Convoqués, les faits sont réinterprétés pour servir l’analyse, et les données brutes (moins anxiogènes) préférées aux tendances de fond. Circonstance aggravante, l’absence de consensus scientifique autorise chacun à s’improviser expert. Modes de contamination, efficacité des masques, traitement… Les sujets ne manquent pas, sur lesquels médecins et épidémiologistes les plus sérieux avancent pourtant avec prudence, confrontés à un adversaire encore inconnu il y a quelques mois.

L’exécutif, dans cette crise complexe, ajoute à la confusion. En refusant de rendre publics les indicateurs sur lesquels il fonde ses décisions, le gouvernement alimente la machine à fantasmes. A l’urgence sanitaire doit donc s’ajouter celle, démocratique, d’une nécessaire transparence. Elle est à la fois le moyen de restaurer la confiance - abîmée - de la population dans la parole publique. Et de dissiper les mirages de la «pensée magique».