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Coronavirus

A Roubaix, «infinie tristesse» dans les cafés

Dans les cafés et restaurants de la ville, les habitués commencent à déserter les lieux, entre résignation et colère.
A Roubaix, jeudi. (Photo Aimée Thirion pour Libération)
par Stéphanie Maurice, correspondante à Lille
publié le 8 octobre 2020 à 20h16

«Mais est-ce que cela va être la même chose qu'à Lille ?» Charlotte tient un restaurant brocante dans le centre-ville de Roubaix, et résume l'interrogation récurrente. A force de ne parler que de Lille, beaucoup ont l'impression que les autres villes de la métropole, 1,1 million d'habitants en tout, vont passer entre les gouttes de l'alerte maximale Covid-19. Erreur : «Le préfet va faire des choix métropolitains», affirme Max-André Pick, premier adjoint LR de Roubaix, croisé par hasard au Bacaro, un restaurant italien juste à côté de la gare.

Il est aussi inquiet pour le Paris-Roubaix, la mythique course cycliste, qui doit se tenir le dimanche 25 octobre, et s'agace de l'interventionnisme de Martine Aubry, la maire socialiste de Lille, qui a devancé l'annonce gouvernementale en publiant un protocole renforcé pour les restaurateurs de sa ville, qui leur permettrait de rester ouverts même au stade écarlate, annoncé jeudi soir. «Elle fait ce qu'elle veut, mais ce n'est pas elle qui décide, c'est le préfet», tranche-t-il. Charlotte aimerait avoir plus d'infos : «Ça se contredit tous les jours, soupire-t-elle, comme à Marseille.»

Au Bacaro, le gérant, Jean-François Boudailliez, est fataliste : «Je ne suis pas du genre à hurler : "On nous empêche de travailler." J'appliquerai les mesures prises, parce que je trouve que c'est du civisme, et j'espère qu'on va survivre.» Depuis sa réouverture, fin août, il constate des hauts et des bas permanents et irrationnels : «Hier midi, on avait sept personnes, aujourd'hui il y avait du monde. Si nous devons accepter seulement six personnes à table, nous allons diminuer notre capacité d'accueil.» Surtout, craint-il, «si on ferme tout, c'est une infinie tristesse qui s'abat sur la ville».

Incrédulité

Dans la rue de l'Epeule, populaire et vivante, au café de l'Etoile, où on ne sert que des jus de fruits, du café et du thé, l'incrédulité est de mise. «Si on ferme le café, on va où ? s'exclame un habitué. Et pourquoi les magasins ne ferment pas alors ? Aldi, Lidl, Auchan, ils devraient fermer. Moi, je travaille chez Aldi, il y a beaucoup de monde, j'ai peur là-bas, les gens ne respectent pas la distance.»

Sur le comptoir, la bouteille de gel hydroalcoolique est presque vide, et les masques sont là, sur les visages, juste baissés pour boire le café. «On fait attention, souligne Abdelkrim, cheveux gris, à l'intérieur du café. On a un ami qui est à l'hôpital, il a mal à ses poumons, et tout le monde ici est parti se faire tester pour le Covid», Mais il n'est pas prêt pour autant à abandonner ses habitudes, sa halte à l'Etoile avant d'aller chercher les enfants à l'école. «Pour moi, le café, c'est pour décompresser.»

Distance

Au café Alpha, où aime se réunir la communauté portugaise de Roubaix, Gérard Laranjeira, derrière le comptoir, râle sur la difficulté à faire respecter les règles sanitaires. Chez lui, tout est au carré : distance mesurée entre les tables, et interdiction absolue d'entrer sans le masque. «Les gens ne font pas attention, surtout quand ils sont entre amis. Ils ont l'habitude de se faire la bise, c'est un problème pour nous. Et il y en a qui veulent entrer sans masque.» Il suivra les consignes gouvernementales, convaincu du danger de l'épidémie. De toute façon, il a déjà perdu 90 % de son chiffre d'affaires. «J'ai beaucoup de clients de plus de 50 ans, et ils ne viennent plus», constate-t-il. Le seul présent ne comprend pas vraiment pas pourquoi on fermerait cafés et restaurants : «Si on nous disait que c'est là où on chope le plus la Covid, OK, il faut fermer, c'est normal. Mais on ne sait pas vraiment si c'est là que c'est pire.»