«Avec Google, le dégel est en vue. Même si la négociation finale s’annonce ardue», confie un patron de presse. Alors que les discussions entre les éditeurs et le moteur de recherche sur l’application d’un droit voisin ouvrant droit à rémunération pour la reprise d’extraits d’articles semblaient au point mort ces derniers mois, deux avancées concomitantes dans les dernières 48 heures ont relancé la perspective d’un accord prochain.
Mercredi, à la veille d'une décision de justice très attendue, Google avait fait savoir qu'il acceptait le principe d'une rémunération des médias, auquel il s'était toujours refusé depuis le début des négociations, il y a un an. Le moteur de recherche indiquait être «proche» d'un accord avec l'alliance de la presse d'information générale (APIG) qui représente près de 300 titres de presse d'information politique et générale, dont Libération.
Une décision anticipée
Une sage décision, au vu de l'arrêt de la cour d'appel de Paris rendu public jeudi. Saisie par Google après que l'Autorité de la concurrence a donné quatre mois à l'entreprise américaine pour négocier avec les éditeurs «de bonne foi» un accord de droit voisin, la juridiction a validé cette décision qui impose à Google de se mettre en conformité avec la loi. A défaut, des «injonctions définitives» (amendes, astreintes financières, etc.) pourraient être prononcées contre le moteur de recherche. La cour, est-il indiqué, «rejette les moyens d'annulation» soulevés par Google et le condamne à payer une somme de «20 000 euros chacun» aux trois représentants des éditeurs de presse qui avaient saisi l'Autorité de la concurrence : l'Alliance de la presse d'information générale (Apig), le Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM) et l'Agence France-Presse.
C'est «une décision très importante. La concurrence s'applique à tous, y compris dans le numérique», s'est félicitée la présidente de l'Autorité de la concurrence, Isabelle de Silva. Google, de son côté, a pris acte de cette décision qu'il avait visiblement anticipée, et qui confirme le bien-fondé de l'action menée par l'instance de régulation. «Ainsi que nous l'avons indiqué hier, notre priorité demeure l'aboutissement de nos discussions avec les éditeurs et les agences de presse français, a réagi le moteur de recherche jusqu'ici très silencieux. Nous avions fait appel afin d'avoir davantage de clarté juridique sur certains éléments de la décision et sommes en train de prendre connaissance de l'arrêt de la Cour d'appel». Dont acte…
De son côté, l'Apig estime que cette décision, scrutée bien au-delà de nos frontières, valide le combat qu'elle a mené depuis des mois pour obtenir de Google qu'il consente à appliquer concrètement, c'est-à-dire financièrement, ce droit voisin. Le Parlement français a été le premier à le voter dans l'Union européenne, en transposant, seulement quelques mois après son adoption, la directive européenne adoptée en mars 2019. L'arrêt de la cour d'appel, a réagi l'Alliance dans un communiqué, «reconnaît notamment l'intérêt économique majeur tiré par Google de l'affichage des publications de presse en termes d'une part de recettes publicitaires directes, d'autre part et surtout d'attractivité pour le moteur de recherche». «C'est peut-être la première marche vers un nouveau partage de l'économie sur internet», estime pour sa part l'avocate spécialisée dans le numérique Christiane Féral-Schuhl.
Accord-cadre
Un «groupe de négociateurs» a été «chargé de finaliser les détails d'un accord-cadre», indique à Libération Pierre Louette, PDG du groupe Les Echos-Le Parisien et président de l'Apig. Ils devront notamment préciser «l'articulation entre la rémunération des droits voisins, et News Showcase», un nouveau programme de rémunération de contenus dévoilé il y a quelques jours par le géant américain, avec un milliard de dollars à la clé. Ces accords de licence déjà signés par plus de 200 éditeurs dans le monde, d'après Google, couvriraient le droit voisin et seraient même susceptibles d'apporter une compensation financière plus importante. Le problème est qu'ils dépendent du bon vouloir du moteur de recherche, qui en fixe seul les règles en choisissant ses partenaires. De quoi renforcer encore un peu plus une dépendance déjà importante des éditeurs à son égard comme une étude toute récente du groupe de presse spécialisée Heroiks tend à le démontrer.
Google qui espère s’entendre également avec les deux autres parties qui l’ont assigné, le Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM) et l’AFP, souhaite que le futur accord-cadre soit basé sur des critères d’audience, de non-discrimination et de contribution à la production d’information politique et générale. Autrement dit, les éditeurs seraient payés en fonction des clics générés par Google et auraient tous la garantie d’être rémunérés à la condition qu’ils délivrent à visée d’intérêt général. Ce qui pose la question de la place de la presse spécialisée dans le futur dispositif.