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Le «Nobel» d'économie adjugé aux «enchères»

Les travaux de deux économistes américains de Stanford Paul Milgrom et Robert Wilson ont été primés ce lundi : ils ont mis au point un modèle d'enchères pour l'attribution de ressources publiques rares comme les fréquences 5G. Un choix qui consacre les mécanismes de marché alors que le prix 2019 avait récompensé les travaux d'Esther Duflo sur la lutte contre la pauvreté.
Le jury de l'Académie royale des sciences de Suède annonce les lauréats du Nobel d'économie, ce lundi. (TT NEWS AGENCY/Photo Anders Wiklund. Reuters)
publié le 12 octobre 2020 à 18h57

Les enchères parfaites existent-elles au sens où elles bénéficient à la fois aux vendeurs, aux acheteurs et aux contribuables ? Oui, soutiennent les économistes américains Paul Milgrom et Robert Wilson. Ils ont été récompensés ce lundi du prix Nobel d'économie pour en avoir «amélioré la théorie et inventé de nouveaux formats», a indiqué le jury de l'Académie royale des sciences de Suède. Le duo qui officie à l'université de Stanford en Californie, est notamment connu pour être à l'origine de l'adaptation de ce concept à la vente de ressources rares ou limitées comme les bandes de fréquence de télécommunications outre-Atlantique ou les attributions de créneaux de décollage et d'atterrissage – les slots dans le jargon – dans les aéroports. Un apport tant théorique que pratique, a salué le jury, qui souligne que «ces nouveaux formats sont au service de la société dans le monde entier».

Les enchères servent à vendre une grande variété de produits, de l’art aux matières premières en passant par la publicité en ligne et peuvent revêtir diverses caractéristiques : elles peuvent être ouvertes – tout le monde les voit – ou fermées, concerner des biens d’une valeur très standardisée comme le pétrole ou beaucoup plus subjective comme les œuvres d’art. Les enchérisseurs peuvent bénéficier d’une information égale ou inégale, auquel cas on dit qu’elle est asymétrique, etc. Autant de biais qu’il faut d’autant plus combattre lorsque ces enchères concernent des ressources publiques rares comme les fréquences 5G.

La «malédiction du gagnant»

Agé de 83 ans, Robert Wilson, a ainsi été le premier à «créer un cadre commun» pour ce type d'enchères, démontrant, entre autres, que les enchérisseurs «rationnels» avaient tendance à faire une offre inférieure à la situation optimale, de peur de trop payer. Ce qu'il appelle la «malédiction du gagnant». Lors de la conférence de presse peu après l'annonce du prix, il a confié n'avoir jamais participé à une enchère. «Moi-même, je n'ai jamais participé à une vente aux enchères. […] Ma femme me fait remarquer que nous avons des chaussures de ski achetées sur eBay, je suppose que c'était une vente aux enchères», a-t-il amusé la galerie. Paul Milgrom, 72 ans, qui fut un élève de Wilson a formulé pour sa part une théorie plus générale des enchères. Elle montre notamment qu'une enchère génère des prix plus élevés lorsque les acquéreurs obtiennent des informations sur les offres prévues par les autres enchérisseurs au cours de l'enchère.

Leurs travaux ont notamment permis d'améliorer le système d'enchères de la FCC, l'autorité fédérale américaine des télécommunications. Alors que jusqu'en 1993, elle attribuait les licences hertziennes pour les opérateurs soit par tirage au sort, ou au terme de longs processus d'auditions – des concours de beauté et de lobbying, raillaient-ils alors –, elle a adopté le système qu'avaient mis au point Wilson et Milgrom. Soit des enchères simultanées à plusieurs tours avec un système suffisamment simple pour être compris de tous les acheteurs placés sur un pied d'égalité et assez incitatif pour permettre à la FCC d'en tirer le maximum de recettes. Un système qui a fait ses preuves et a été repris un peu partout dans le monde pour l'attribution des fréquences radio (Canada, Grande-Bretagne, Espagne, etc.). Ce fut également le cas il y a quelques semaines pour la 5G en France où elles ont rapporté 2,786 milliards d'euros à l'Etat.

Régulation néolibérale de l’économie

Alors qu'il avait consacré l'an dernier les travaux autour de la réduction de la pauvreté de la franco-américaine Esther Duflo et de l'indo-américain Abhijit Banerjee (devenus mari et femme), le Nobel 2020 d'économie renoue avec une approche beaucoup plus classique de l'économie en consacrant à nouveau le rôle central du marché. Comme l'an dernier, le prix récompense une approche très pragmatique basée sur une observation des comportements humains – dans un cas celui des enchérisseurs, dans l'autre celui dont la manière dont les pauvres réagissent à la mise en place de mesures expérimentales censées les aider. En montrant cette fois comment une confrontation non faussée de l'offre et de la demande permet d'aboutir à un juste prix bénéfique à l'ensemble des parties prenantes (entreprises, consommateurs, Etats). Un prix en phase avec l'idée qu'une régulation néolibérale de l'économie peut s'avérer très efficace et qui vient clore un cru 2020 dans lequel les préoccupations sociales et sanitaires n'ont pas été oubliées en cette année de pandémie.

Avant ce 52Nobel d'économie qui clot la saison de l'académie suédoise, le prix Nobel de la paix attribué en fin de semaine dernière est allé au programme alimentaire mondial de l'ONU qui apporte une assistance quotidienne à près de 100 millions d'êtres humains souffrant de la faim dans le monde.