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Le couvre-feu, une histoire française

Au fil des tempsdossier
Utilisé à de rares occasions dans l’histoire moderne du pays, c’est la première fois que le dispositif est mis en place pour des raisons sanitaires.
A Paris, le 31 mars. (Frédéric STUCIN/Photo Frédéric Stucin pour Libération)
publié le 15 octobre 2020 à 16h20

Une nouvelle fois, comme il y a quatre-vingt ans, les Parisiens ne devront pas louper le Dernier métro, titre d’un film de François Truffaut, s’ils veulent être chez eux avant le début du couvre-feu. Immanquablement le terme renvoie aux années quarante et à la période de l’occupation. Dès 1941, les autorités allemandes mettent en place cette mesure dans des régions où les premiers foyers de résistance, encore très balbutiants, commencent à s’activer. Le 20 octobre 1941, l’exécution à Nantes du lieutenant-colonel Hotz entraîne la première mise en place d’un couvre-feu et aussi, par mesure de rétorsion, le peloton pour cinquante otages dont le jeune militant communiste, Guy Môquet, tout juste âgé de 17 ans. L’objectif est simple : contrecarrer toute activité clandestine que la nuit rend propice menée par une population considérée globalement comme hostile.

Exceptions

En février 1942, les Juifs de France vivant en zone occupée se voient interdits de toute sortie entre 20 heures et 6 heures du matin. En 1943, après l’occupation de la zone libre en novembre 1942 et face aux actions de plus en plus fortes de la Résistance, le couvre-feu tombe sur le pays tout entier. Pour Paris, il est fixé de minuit à six heures du matin. Pas question pour les Allemands de renoncer aux joies et voluptés du «Gross Paris». Dans les autres villes de France, il varie entre 22 heures et 23 heures. Pour ceux qui y contreviennent, les sanctions peuvent aller jusqu’à la peine de mort ou la déportation. Les Allemands ne font pas la leçon. Ils la donnent.

Des stratégies de contournement de cet interdit se mettent alors en place. Dans ses Journaux parisiens, l'écrivain allemand Ernst Jünger, alors officier de la Wehrmacht, raconte comment une certaine élite parisienne qui fricote avec l'occupant, se précipite dans les soirées organisées par Otto Abetz, l'ambassadeur d'Allemagne en France. Aujourd'hui, difficile de pactiser avec un virus.

Dans les campagnes, les jeunes ne renoncent pas à s’amuser. Des bals clandestins, dans des granges, dans des lieux isolés qui se transmettent par le bouche-à-oreille, s’organisent. Pour aller «guincher», les jeunes filles se font belles. Le textile étant soumis au rationnement, elles se font tailler des robes dans des tissus tombés du ciel au gré des parachutages. Elles se passent les jambes au brou de noix pour faire croire qu’elles portent des bas et demandent à leurs copines de leur dessiner la couture au crayon.

Jetés à la Seine

Le couvre-feu a toujours été lié à un état de guerre. Pendant la guerre d’Algérie et plus particulièrement pendant la bataille d’Alger, à trois reprises, un couvre-feu est mis en place afin de mieux lutter contre les attentats commis par le FLN. En octobre 1961, il est imposé aux «Français musulmans» vivants en métropole selon la terminologie de l’époque. Le 17 octobre 1961, pour protester contre cette mesure la fédération française du FLN organise une manifestation partant de Nanterre pour rejoindre le centre de Paris. Sur ordre de Maurice Papon, alors préfet de la Seine, elle sera très durement réprimée. La police n’hésitant pas à se livrer à de sévères ratonnades. Les bilans, encore aujourd’hui sujets à controverse entre les historiens, font état d’au moins 200 morts dont bon nombre jetés à la Seine.

En 2005, afin de faire face aux émeutes qui secouent les banlieues françaises, Dominique de Villepin, alors Premier ministre de Jacques Chirac décide de réactiver cette mesure permise par la loi sur l’état d’urgence de 1955 votée sous le gouvernement d’Edgar Faure juste après les événements de la «Toussaint sanglante» de novembre 1954, début de l’insurrection algérienne. Le couvre-feu avait été alors appliqué dans plusieurs grandes villes mais pas en Ile-de-France d’où étaient partis ces troubles. Le gouvernement craignant alors de jeter de l’huile sur le feu. La décision avait alors été vivement critiquée avec l’argument qu’il s’agissait d’une mesure de temps de guerre appliquée dans une France en paix pour lutter contre un «ennemi intérieur».

Samedi, ce sera donc la première fois en France que le couvre-feu s’applique pour des raisons sanitaires. Au Moyen Age, une cloche sonnait à la tombée de la nuit pour avertir qu’il était temps de recouvrir le foyer d’un lourd couvercle en bronze afin d’éviter tout risque d’incendie dans des villes faites de bois. L’épidémie de Covid, elle, risque de couver sous les braises jusqu’à l’été prochain comme l’a déclaré le président de la République lors de son intervention de mercredi. Sans qu’un couvre-feu ne parvienne à l’éteindre…