Professeur de sociologie à l'université de Paris-8, Nicolas Duvoux est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la pauvreté, notamment les Inégalités sociales (éditions PUF, 2017). Il est également membre du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE). Il revient sur les annonces du président de la République, Emmanuel Macron, sur le versement d'une somme ponctuelle de 150 euros aux allocataires du RSA ou de l'APL (allocation logement), qui eux toucheraient 100 euros par enfant à charge. Une mesure dont bénéficieraient 4 millions de ménages – pauvres ou très modestes –, a précisé jeudi le Premier ministre. Le chef de l'Etat a exclu en revanche toute hausse du RSA.
Les mesures annoncées par le président de la République en faveur des allocataires du RSA et de l’APL constituent-elles une réponse à la hauteur du développement de la pauvreté suite au choc économique de la crise du Covid ?
Ces mesures constituent un bol d’air ponctuel pour les ménages concernés dont il convient de ne pas négliger l’importance. Ces personnes sont à 10 euros près pour boucler leurs fins de mois. Chaque euro compte. Donc tout coup de pouce est le bienvenu. Mais les décisions annoncées restent dans la continuité des mesures d’urgence apportées aux mêmes ménages par le gouvernement au printemps dernier, pendant le confinement. On verse une somme à un instant «T» et c’est tout. Ces mesures font alors apparaître un décalage de traitement important du gouvernement selon la situation des gens : il apporte un soutien massif et durable aux salariés en emploi (au travers de l’activité partielle notamment), mais des aides très ponctuelles pour les ménages pauvres et modestes souvent sans emploi ou privés d’emploi par la conjoncture exceptionnelle que nous traversons.
Emmanuel Macron a exclu toute hausse du RSA, soulignant que «plus on augmente […] nos minima sociaux, plus on rend difficile le retour à l’activité». En creux, il laisse entendre que les minima sociaux incitent les gens à ne pas travailler. Les travaux de sociologie confirment-ils cet a priori ?
Les travaux concordent pour souligner plusieurs choses : les gains monétaires à la reprise d’un emploi ne sont pas décisifs dans les comportements des allocataires du RSA. Ces derniers ont envie de sortir des minima sociaux bien plus pour retrouver une dignité et une participation à la vie sociale que pour gagner un peu plus. Il convient en outre de souligner que les réformes visant à inciter les personnes à reprendre un travail ont déjà été faites au cours de ces vingt dernières années.
Quelles sont ces réformes ?
Je pense notamment à la prime d’activité qui est versée aux salariés percevant des rémunérations modestes. C’est un mécanisme très incitatif à la reprise de l’emploi. Mais paradoxalement, ce type de protection disparaît si on perd son travail. Elle ne protège donc pas des chocs. Elle n’est donc pas adaptée à la situation actuelle. De plus, force est de constater que 1,9 million de ménages perçoivent le RSA, et que le niveau de ce minimum social est très insuffisant pour satisfaire les besoins élémentaires et très inférieur au seuil de pauvreté. Les difficultés de certaines familles à avoir un budget suffisant pour se nourrir et couvrir leurs «dépenses contraintes» (logement, électricité, chauffage…) sont avérées. La ligne directrice de la politique sociale actuelle consiste à tout miser sur les mesures qui peuvent rapprocher les allocataires du RSA de l’emploi (incitations financières, formation, accompagnement…) et d’exclure toute revalorisation de ce même RSA. On oppose les deux situations. Or les deux ne s’opposent pas, bien au contraire.
Le président de la République affirme que ses «fondamentaux, c’est la lutte contre la pauvreté, par le retour (au) travail». La France compte 1,9 million d’allocataires du RSA. Est-il possible de leur proposer à tous un travail ?
Ce n’était déjà pas le cas avant le choc économique consécutif à la crise sanitaire, et c’est encore moins vrai aujourd’hui. Il est tout à fait évident que notre société va devoir affronter – pendant les mois et sans doute les années à venir – une baisse de l’activité économique et une mise à l’écart du marché de l’emploi d’une partie significative de la population. Non seulement il sera difficile pour les allocataires du RSA de trouver du travail, mais des salariés aujourd’hui en emploi vont se retrouver au chômage. Dès lors, on ne peut que constater un décalage saisissant entre ces mesures d’urgence – le versement de 150 euros et plus selon les situations qu’il convient de ne pas minimiser – et le caractère structurel de la crise qui frappe. Les réponses sont en deçà de la réalité sociale du pays.
De nombreux chômeurs en fin de droits basculent au RSA, ultime filet du système de protection sociale. Alors que l’on fait face à un chômage de masse, on assiste à une stigmatisation des personnes privées d’emploi…
En même temps que les sociétés de plein-emploi sont entrées en crise s’est opéré un renversement de la responsabilité du chômage. Au fil des ans, on a basculé d’une responsabilité collective à une responsabilité individuelle. Ce n’est plus le contexte économique qui est tenu pour responsable du manque de travail, mais les chômeurs eux-mêmes. La restriction des droits à l’assurance chômage conduit nombre d’entre eux à basculer au RSA. En amont même d’une indispensable revalorisation du RSA ainsi que son ouverture aux jeunes qui sont également exclus de la plus grande partie des aides d’urgence, je pense qu’il est important de maintenir au maximum les salariés privés d’emploi dans l’indemnisation chômage.
Avec le confinement, nous allons tous devoir rester calfeutrés à partir de 21 heures. Quid des 150 000 personnes SDF qui sont parfois dehors faute de trouver une place dans des structures d’hébergement ?
Le président de la République a reconnu que la pandémie était inégalitaire. Elle frappe davantage les pauvres et les précaires, dans le domaine sanitaire comme dans ses conséquences économiques. Et effectivement, les personnes sans-abri ne peuvent pas se conformer aux règles édictées. Il serait insupportable qu'elles subissent une double peine, privées de logement et de solutions à leurs problèmes, tout en étant hors-la-loi avec le couvre-feu.