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Etat pompier

Usine Bridgestone : le gouvernement a un plan à 100 millions (mais moins d'emplois)

Recevant salariés et élus locaux à Bercy, la ministre de l'Industrie, Agnès Pannier-Runacher, leur a présenté un projet permettant de maintenir plus de 50% des emplois et nécessitant 100 millions d'euros d'investissements en partie publics. Un scénario que l'industriel nippon s'est dit prêt à examiner, mais qui suppose des sacrifices de la part des salariés.
Les ministres Agnès Pannier-Runacher et Elisabeth Borne, avec l'intersyndicale et la direction de Bridgestone, à l'hôtel communautaire de Béthune le 21 septembre. (Photo Stéphane Dubromel. Hans Lucas pour Libération)
publié le 19 octobre 2020 à 19h31

On ne décrète pas une fermeture de site sans avoir d'abord étudié des «solutions alternatives», avaient promis les ministres de l'emploi et de l'industrie, Elisabeth Borne et Agnès Pannier-Runacher, lors de leur déplacement chez Bridgestone à Béthune, dans le Pas-de-Calais, fin septembre. Cette visite au chevet de l'usine de pneus menacée faisait suite à l'annonce du fabricant japonais de la cessation prochaine de toute activité sur son site nordiste. Un petit mois plus tard, l'Etat pompier remonte donc au feu avec dans sa besace un plan qui «contre-expertise» le diagnostic condamnant Béthune, alors présenté comme sans appel par la direction de Bridgestone. Concocté par le cabinet Accenture mandaté par Bercy, ce scénario nécessitant 100 millions d'euros d'investissements dans de nouvelles machines permettrait la sauvegarde de 460 à 560 emplois dans l'usine.

Ce projet industriel, qui permettrait d’éviter le licenciement de plus de la moitié des 863 salariés du site – sans compter les centaines d’emplois en jeu chez les sous-traitants – prévoit d’y maintenir la production annuelle de trois millions de pneus positionnés sur un créneau plus haut de gamme. Il suppose également des gains de productivité de 25% à 40% qui seraient obtenus, outre les départs, par une réorganisation du temps de travail avec plus d’horaires décalés et/ou des temps de travail allongés.

«Moins de salariés, plus de productivité»

«Nous avons demandé à Bridgestone de prendre le temps de creuser ce scénario complémentaire auquel il va devoir répondre par oui ou par non», a expliqué Agnès Pannier-Runacher à l'issue d'une réunion avec les représentants des salariés et les élus locaux parmi lesquels Xavier Bertrand, le président (ex-LR) de la région des Hauts-de-France. «Cela démontre qu'il y a encore de la place pour faire des pneus à Béthune même si ce ne sont pas les mêmes, avec moins de salariés et plus de productivité», a réagi ce dernier selon lequel «si c'est non, il faudra alors engager le bras de fer pour obtenir le maximum pour le site et les salariés. On ne part pas comme ça, en France».

«Nous ne nous laisserons pas faire, nous allons nous battre pour donner un avenir industriel à ce site. […] J'espère que nos amis japonais mesurent ce qui est en jeu au niveau humain à Béthune», a encore indiqué la ministre en évoquant des vidéos des salariés du site à l'intention de leur employeur. «Il faudrait avoir un cœur de pierre pour ne pas y être sensible», a-t-elle dit. Elle a néanmoins indiqué que les chiffres avancés par Bridgestone pour expliquer sa décision étaient «fondés» et que la solution proposée par Accenture serait très difficile à mettre en œuvre.

«C'était une réunion constructive, ça fait du bien de se sentir soutenus», a déclaré de son côté Stéphane Ducrocq, l'avocat représentant les salariés de Bridgestone qui se sont abstenus de toute déclaration et font profil bas depuis plusieurs semaines. On espère aller vers autre chose que cette fermeture» a-t-il simplement indiqué. Le gouvernement en a profité pour saluer au passage le «comportement exemplaire » et le «professionnalisme» des syndicats et des salariés qui, depuis l'annonce de la fermeture ont poursuivi le travail comme si de rien n'était ou presque avec une production qui continue de tourner à plein régime. Seule démonstration de contestation, une marche en silence, sans bannière ni le moindre slogan avait rassemblé 1 400 personnes à Béthune début octobre. comme un enterrement.

Bridgestone va examiner la «viabilité» du plan

Dans l'après-midi, le groupe nippon a indiqué qu'il acceptait «d'examiner la viabilité» de cette solution «dans les prochaines semaines». «Cette possibilité repose sur des hypothèses qui nécessitent d'être détaillées et travaillées», déclare Bridgestone dans son communiqué, qui précise que le travail pour reclasser les salariés et attirer de nouvelles activités sur le site se poursuit.

Dans son rapport, Accenture met en avant le savoir-faire industriel du site de Béthune et ses atouts en vue d'une reconversion dans d'autres activités en cas d'échec de la restructuration de la production de pneumatiques. L'occasion pour le gouvernement de rappeler que la loi impose bien à l'industriel nippon de proposer des solutions alternatives ou complémentaires. Après avoir rencontré le gouvernement et les élus locaux fin septembre, la direction de Bridgestone avait indiqué que la fermeture du site de Béthune était «la seule option», mais qu'elle entendait «participer activement à la recherche de solutions pour le site et le territoire». Un peu plus prolixe que la direction nippone du fabricant de pneus, son président pour la zone Europe, Laurent Dartoux avait précisé que le groupe réfléchissait à des «projets alternatifs de reconversion du site, avec et sans Bridgestone».

Un scénario à l’italienne

Lors du bref point de presse, la ministre déléguée à l’Industrie, Agnès Pannier-Runacher, a estimé que le scénario présenté par le cabinet Accenture s’inscrivait dans la lignée de celui mis en place à Bari, dans les Pouilles, en Italie. La fermeture de l’usine locale de Bridgestone, présentée comme irrévocable en 2013, y avait finalement été évitée mais au prix de très lourds sacrifices. L’accord qui a abouti à la suppression de 377 suppressions de postes sur 935 a entraîné des réductions de salaire de 25% à 30% et la renégociation à la baisse de presque tous les avantages sociaux. En échange de quoi, l’usine a poursuivi son activité, avec l’aide de la région et de l’Etat qui ont investi 40 millions d’euros dans la modernisation du site.

Agnès Pannier-Runacher a d'ailleurs redit lundi que l'Etat français n'excluait pas d'investir aux côtés de l'équipementier japonais si ce dernier s'engageait dans un tel projet. «Le sujet, ce ne sera pas l'argent public», l'a repris au bond Xavier Bertrand dans son style beaucoup plus direct à propos des 100 millions d'investissements chiffrés par Accenture. Et le président de la région des Hauts-de-France d'ajouter : «Si le projet industriel est bon, on trouvera des solutions et ce ne sera pas 10%, 20% ou 30% d'argent public, cela pourra être beaucoup plus.»