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Libération
Reportage

Dans l’Aveyron, la fièvre monte chez les soignants

Dans le département en «alerte maximale», le personnel de l’hôpital de Millau craint de ne pas pouvoir faire face dans un contexte de restructuration.
Dans un hôpital français, en octobre (photo d'illustration). (FREDERICK FLORIN/Photo Frederick Florin. AFP)
publié le 23 octobre 2020 à 20h46
(mis à jour le 24 octobre 2020 à 19h08)

Comme souvent, en ce vendredi matin, le parking de l'hôpital de Millau (Aveyron) est déjà plein. A l'entrée, une dame fournit des masques neufs pour remplacer ceux non conformes ou en tissu pour les patients qui sont admis. Covid oblige, les accompagnants sont priés de rester dehors. Maryse (1) attend son mari arrivé un peu plus tôt par ambulance. «Il y en a pour une heure d'attente avant la consultation», lui lancent les ambulanciers. «Ce n'est pas bien grave, je n'ai pas froid», sourit-elle assise sur un muret en pierre, peu inquiète du couvre-feu qui entre en vigueur ce samedi : «De toute façon, je ne sors pas le soir.»

Ainsi va le protocole sanitaire à l'hôpital de Millau, où «la situation évolue de jour en jour», observe Didier Bourdon, directeur intérimaire du centre hospitalier. Mardi, la préfecture annonçait déjà des mesures renforcées face à l'augmentation du taux d'incidence, qui a grimpé en quelques semaines de 70 à 320 pour 100 000 habitants. «Nous déplorons 43 décès [de patients Covid] depuis le 1er septembre en Aveyron, dont 39 résidents d'Ehpad», souligne Benjamin Arnal, délégué de l'ARS. En outre, 31 personnes sont hospitalisées en raison du virus, dont 4 en réanimation. Cette fois, le département rural semble ne pas échapper à sa vague Covid. «On a plus de cas positifs, un peu plus d'hospitalisations», résume Fabienne Silly, directrice des soins du centre hospitalier. Pour l'heure, «aucune intervention n'a été déprogrammée» et l'objectif est de «maintenir toutes nos activités, même si on s'interroge» souligne-t-elle.

Mais en Aveyron, comme ailleurs, les hôpitaux vont au-devant d'injonctions contradictoires : continuer à pratiquer les interventions impossibles à reporter sans pertes de chances pour le patient tout en faisant le plus de place possible aux malades du Covid quand la deuxième vague va atteindre son pic. Pour l'heure, «tous les patients qui arrivent aux urgences sont testés et, en cas d'hospitalisation, isolés dans des chambres individuelles le temps d'obtenir le résultat, explique Marie, une infirmière. Pour l'instant, je ne vois pas de différence en nombre d'entrées et en pathologies par rapport aux années précédentes.» En revanche, la charge de travail s'est bien alourdie, «toujours un truc en plus à faire, on ne sait jamais comment va se passer la journée», raconte Chantal. Elle s'interroge sur ce qu'elle fera si elle est testée positive : «D'un côté on risque de contaminer les collègues, et de l'autre, on ne veut pas les mettre en difficulté si on est absent.»

Fatigue. Ces problèmes ne datent pas d'hier. Près des urgences, une banderole, vieille de plus d'un an, est toujours accrochée : «Pour de bons soins, donnez-nous des moyens.» A côté, un Algeco fait office de salle d'attente pour les personnes accompagnantes. «la dernière fois, j'ai attendu de 15 heures à 23 heures pour une blessure grave», peste Michel en sortant. «Au total, entre 2016 et 2018, on a fermé une quarantaine de lits à Millau, déplore Pierre-Jean Girard, syndicaliste à SUD santé. On sait que la direction fait du mieux qu'elle peut avec ces moyens réduits. Mais cet été déjà [alors que l'épidémie n'avait pas encore repris] on ne trouvait déjà pas suffisamment d'infirmiers et d'aides-soignants.» Si cet été les congés ont pu être maintenus, la fatigue est toujours présente et vive. «En mars, on a joué le jeu et fourni tous ces efforts, pas sûr qu'on soit en mesure d'en fournir autant pour cette deuxième vague», lance une soignante. A ce tableau devenu trop commun dans le pays s'ajoute le projet d'«Hôpital médian» dans ce département de l'Aveyron qui n'en compte que cinq : Rodez, Villefranche-de-Rouergue, Decazeville, Saint-Affrique et Millau. Mais depuis des années couve l'idée d'une fusion entre les établissements de Millau et Saint-Affrique. Enjeu des municipales au printemps, la divulgation d'une étude de faisabilité de 2018 sur ce projet, a remis le feu aux poudres. Il y est en effet envisagé un regroupement avec construction d'un hôpital unique entre les deux villes. Selon l'option la plus radicale, seulement 112 lits et places pourraient ainsi être conservés et 200 postes équivalent temps plein (ETP) supprimés. «Une hypothèse sur laquelle nous ne travaillons pas», assure le directeur, qui préfère viser l'option «haute», soit le maintien de 151 lits et places et la suppression de 130 à 150 ETP.

«Obsolescence». Largeur de couloirs, manque de chambres individuelles, taille réduite des zones d'attentes, «la crise sanitaire a démontré l'obsolescence des locaux de Millau pour faire face», affirme Didier Bourdon. Mais l'option de fusionner les hôpitaux de Millau et Saint-Affrique reste explosive. «On ne nous dit rien, on n'a aucune info», lance Corine Mora, déléguée CGT santé. Des actions sont prévues dans les prochains mois, d'abord avec le personnel de l'hôpital et ensuite avec d'autres associations locales pour consulter la population. Vendredi soir, la préfecture annonçait l'obligation du port du masque dans l'agglomération de Rodez, et les villes de Millau et Villefranche-de-Rouergue, ainsi que la fermeture des bars ou buvettes.

(1) Les prénoms ont été changés.