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Libération
à la barre

Les locataires expulsés invitent le Conseil constitutionnel dans les tours Hermitage

Devant la Cour d'appel de Versailles, leur avocate a plaidé une question prioritaire de constitutionnalité. La défense de RATP-Habitat, leur bailleur, a dénoncé «une stratégie».
Vue sur les bâtiments «Anjou» et «Bretagne». (Francois Prost/Photo François Prost pour Libération)
publié le 10 novembre 2020 à 20h26

Dans certaines audiences, on entend les absents. Ce mardi à la cour d’appel de Versailles, le nom du promoteur russe Emin Iskenderov, à l’origine des deux tours Hermitage Plaza dans le quartier d’affaires de la Défense, n’a jamais été prononcé et pourtant, c’est bien son projet qui amenait une fois encore des locataires de RATP-Habitat devant les magistrats.

Les immeubles de la Défense qu'ils habitent, les Damiers, doivent être démolis pour faire place à deux tours de 300 mètres chacune. Les Damiers sont encore debout mais, à l'exception de deux d'entre eux, les habitants ont tous été expulsés. Leur avocate, Me Armelle de Coulhac-Mazérieux, conteste que le fait que RATP-Habitat ait transformé les baux du marché libre de six ans en contrats HLM de trois mois, cela avant même leur expiration. Ce qui les empêche de préempter leur logement.

«On nous objecte qu’on serait malvenu de se plaindre»

Au cours de cette audience, elle plaide également une question prioritaire de constitutionnalité, portant sur des arrêts rendus par la Cour de cassation en mai 2020 validant ce glissement automatique d’un bail vers un autre. La QPC portant sur la constitutionnalité d’une interprétation de la loi est une nouveauté récente dont l’avocate s’est saisie.

En quoi est-ce important, cette affaire de baux? «On nous objecte qu'on serait malvenu de se plaindre de la mauvaise application de la loi puisque les immeubles étant destinés à être démolis, les locataires n'auraient pas eu intérêt à faire jouer leur droit de préemption, dit Armelle de Coulhac-Mazérieux. Sous-entendu, ce n'est pas grave qu'on n'ait pas respecté la bonne législation puisque de toute façon, on les aurait mis dehors.»

En face, l'avocate de la RATP, Me Laure-Anne Fournier, ne dément pas. «Ma cliente est propriétaire de ces 250 logements, elle a obtenu l'autorisation de démolir. Elle est bien fondée à poursuivre cette démolition», affirme-t-elle. Puis elle ajoute curieusement: «Les locataires sont nécessairement gagnants dans cette affaire. Ils ont un bail de trois mois mais ils ont droit au maintien dans les lieux. Ils ne vont pas se plaindre de pouvoir rester dans les lieux de manière infinie…» Infinie jusqu'à démolition?

«Dix ans de contestation»

Au cours de cette audience, l'affaire des baux applicables et la validité de la QPC doivent être jugées ensemble. On est là pour faire du droit. Me Coulhac-Mazérieux expose donc les principes constitutionnels qui ont été violés selon elle. Puis, évoquant le rôle du bailleur social RATP-Habitat, elle revient brutalement dans le réel: «On nous parle de la mission sociale, de l'interêt général qui balaie tout. Non ça ne balaie pas tout. Où était l'intérêt général lorsqu'il s'est agi de mettre dehors 1000 personnes dont certaines étaient là depuis trente ans ?»

Me Laure-Anne Fournier ne veut surtout pas aller sur ce terrain-là. Elle attaque une frénésie procédurière. «Cette QPC s'inscrit dans dix ans de contestation de ce projet, ça manquait. On a tout eu. Deux cassations, votre juridiction saisie à de multiples reprises…» Elle dénonce une «stratégie qui consiste à engager systématiquement des instances». Et soupire: «Ma cliente entend, grâce aux recettes de la vente, construire mille logements sociaux. Elle est bloquée.» Peut-être aussi par le fait que son acheteur, Emin Iskenderov, ne semble pas avoir réuni les financements quoique ce ne soit pas le sujet.

Mais l'avocate de la RATP finit quand même par évoquer son encombrante présence. «On aurait sciemment, en service commandé, répondu à la demande du promoteur et on aurait régularisé des situations de locataires pour pouvoir les expulser et les priver de leur droit de préemption?» C'est un peu le résumé de toute l'histoire mais bien qu'elle vienne de le formuler, Me Fournier se raccroche au droit: «Là je ne sais pas comment le dire : que ce soit une législation ou une autre, vous ne pouvez pas préempter un immeuble que l'on va démolir.» Décision le 5 janvier.