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Défrichage

Covid-19 : «De ma vie d’épidémiologiste, je n’avais jamais vu un tel engouement»

Les participants de cinq grandes études de santé publique en France ont massivement accepté de prendre part à Sapris-Sero. Avec l'enquête EpiCov également en cours, ce travail va permettre d'étudier les effets de l'épidémie sur la population générale.
Dans les rues de Lyon le 31 août. (JEFF PACHOUD/Photo Jeff Pachoud. AFP)
publié le 14 décembre 2020 à 9h09

Dans les enquêtes statistiques, il est rare que l’on demande aux participants de se piquer le bout du doigt pour en faire sortir une grosse goutte de sang. Mais pour l’étude Sapris-Sero, 88 232 personnes ont accepté de le faire. Elles ont déposé cinq taches sur les réactifs d’un buvard et renvoyé le tout par la poste.

Accompli en mai et juin à l'issue du premier confinement, ce geste venait en accompagnement d'un questionnaire fouillé, établi en urgence par les chercheurs dès le 17 mars. Samedi, dans un donnant-donnant équitable, les résultats de Sapris-Sero ont été présentés en avant-première aux participants de l'enquête lors d'une conférence en ligne. EpiCov, la seconde grande étude épidémiologique sur le Covid, publiera ses résultats prochainement.

Dans les deux enquêtes, le questionnaire est à peu près similaire, les tests sérologiques sont traités par la même équipe de l’Unité des virus émergents de Marseille, dirigée par Xavier de Lamballerie. Ce qui diffère, ce sont les participants. Pour EpiCov, un panel représentatif de la population a été réuni, dont les travailleurs de première ligne qui ont été lourdement atteints par le virus. Pour Sapris-Sero, ce sont les participants habituels de cinq grandes études de santé publique (E3N-E4N, Epipage, Elfe, NutriNet-Santé, Constances) menées sur des temps longs qui ont été sollicités.

Les 30-50 ans plus touchés

Responsable de Sapris-Sero, le Dr Fabrice Carrat, médecin à l'hôpital Saint-Antoine (Paris) et chercheur à l'Inserm, ouvre la présentation avec ce premier étonnement : «L'engouement a été exceptionnel. De ma vie d'épidémiologiste, je n'avais jamais vu une participation aussi importante dans une étude.» Au total, 139 253 personnes ont répondu au questionnaire, dont les 88 232 qui ont fait, en plus, le test sérologique. Parmi ces derniers, 2 675 courageux enfants.

Premier enseignement de cette cohorte : les 30-50 ans ont été les plus touchés par la première vague. La moyenne nationale d'infection atteignait 5,2% en cette fin de printemps, mais les pics évoqués dans les médias se confirment dans les chiffres : 10% en Ile-de-France et 9% dans le Grand-Est. Parmi les Franciliens testés positifs, 19% étaient asymptomatiques. Toujours dans les éléments de cadrage et dans ces deux régions, le risque d'hospitalisation après infection se situait à 3,2% avec, selon l'âge, un doublement par tranche de dix ans. Il atteint 30% pour les plus de 80 ans. Le taux de décès s'élevait à 0,6% en moyenne, «ce qui est extrêmement important, souligne Fabrice Carrat. Ce taux est multiplié par quatre à chaque tranche de dix ans pour atteindre 11% de décès chez les plus de 80 ans.»

Et les enfants ? «Le niveau moyen d'infection chez les enfants est toujours inférieur à celui que l'on observe chez les parents, expose Fabrice Carrat. Vous l'avez beaucoup entendu mais il était important de pouvoir l'étayer sur la base de Sepris-Sero.» Contrairement à ce qui se passe pour la grippe, «où les enfants expectorent énormément de virus et contaminent toute la maison», les petits infectés au Covid sont peu ou pas contaminants.

La question qui tracasse les participants, c'est celle de la protection. Si j'ai été infecté, ai-je des anticorps, vont-ils me protéger longtemps ? «La manière dont les anticorps persistent, quelle immunité est conservée, personne aujourd'hui n'est capable de le dire», reconnaît Fabrice Carrat. «Le "corrélat de protection", en clair combien d'anticorps neutralisants il faut avoir pour être protégé, n'est pas déterminé aujourd'hui», confirme Xavier de Lamballerie.

De plus, «il faut être modeste avec les tests, ajoute-t-il. Aucun n'est parfait.» Ainsi, un test Elisa (sérologique) peut-il «montrer que vous avez rencontré le virus, mais ce n'est pas pour ça que vous aurez des anticorps neutralisants. Les gens qui sont asymptomatiques ont peu d'anticorps neutralisants et les perdent rapidement». Mais, mais, mais… «cela ne veut pas dire que vous n'êtes pas protégé contre la maladie. Votre système immunitaire peut être capable assez rapidement de se mobiliser et de secréter à nouveau des anticorps pour vous protéger». Fabrice Carrat précise : «Le fait que les anticorps disparaissent n'est pas forcément très inquiétant : la rencontre avec le virus va les relancer.»

Rassurer sur le vaccin

Le virus mute-t-il ? Xavier de Lamballerie : «Tous les virus à génome ARN mutent, mais celui-là pas beaucoup. Jusqu'à présent, on n'a rien vu de très extraordinaire.» Et pour qu'on comprenne bien : «Vos anticorps vous protègeront correctement contre le virus qui circulera dans les mois qui viennent.»

Autre question préoccupante, le vaccin. La «vraie question» pour les deux intervenants, c'est celle du rempart qu'il constitue, ou non, à la contagiosité. «Est-ce qu'un individu vacciné ne va pas rester porteur a minima et contagieux malgré tout ? s'interroge Fabrice Carrat. Aujourd'hui, nous n'avons pas d'information fiable. Nous savons que le vaccin protège la personne mais nous ignorons s'il empêche la contagion.» Seule certitude : «Si 60% de la population sont protégés, le virus ne va plus pouvoir circuler.»

Mais ce qui inquiète les participants, c'est le nouveau vaccin à ARN messager. Xavier de Lamballerie reprend les craintes une à une. «Est-ce que ces vaccins peuvent modifier le génome ? Non, absolument pas. Ces technologies sont-elles nouvelles ? Oui et non. Elles sont nouvelles dans les vaccins.» De plus, «on est un peu surpris par la qualité des résultats. L'immunité est bonne. Il faut faire attention aux effets secondaires, mais tous les premiers résultats sont extrêmement favorables».

Alors pourquoi attendre ? «Les vaccins ne démarreront pas en France avant janvier ou février, mais ce n'est peut-être pas plus mal. Entre temps, le Royaume-Uni et les Etats-Unis auront vacciné depuis quelques mois et nous aurons davantage de recul.»

Une deuxième vague de prélèvements a été effectuée entre juillet et septembre. Et deux autres sont prévues en 2021 et 2022. Avec, à chaque fois, un questionnaire. Lors de la conférence, certains participants se sont étonnés qu'on leur pose des questions allant bien au delà de la médecine. Mais si le Sars-CoV-2 n'impactait que la santé, ça se saurait.