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Interview

Joël Gombin : «C’était une erreur d’ériger le Printemps marseillais en exemple national»

Pour le politologue Joël Gombin, le micmac de Marseille est une affaire locale qui illustre toutefois le décalage entre la conquête et l’exercice du pouvoir.
Lors du conseil municipal à Marseille ce lundi. (Patrick GHERDOUSSI/Photo Patrick Gherdoussi pour Libération)
publié le 21 décembre 2020 à 19h51

Joël Gombin est politologue et habitant de Marseille. Selon lui, la démission de Michèle Rubirola, pour raisons de santé, et l’élection du socialiste Benoît Payan à sa place abîment la promesse de transparence et de démocratie du Printemps marseillais. Mais cet épisode ne permet pas de tirer des conclusions nationales.

Benoît Payan vient d’être élu maire de Marseille, succédant à Michèle Rubirola, pour laquelle les électeurs ont voté en juin. Avec quelles conséquences d’un point de vue démocratique ?

Il n’y a pas de changement dans le rapport de force politique mais d’un point de vue symbolique c’est assez fort. Parmi les électeurs du Printemps marseillais, il y avait un électorat de gauche qui avait beaucoup de mal à voter pour un Parti socialiste très affaibli, qui a cru à un renouveau. Benoît Payan avait d’ailleurs retiré sa candidature car elle ne permettait pas ce dépassement du cadre politique traditionnel, que Michèle Rubirola a pu incarner. Cet espoir est très clairement déçu par cette pirouette.

C’est ce que représente Benoît Payan qui pose problème ?

Le fait qu’il devienne maire n’est pas insurmontable en soi. Le problème, c’est que la promesse du Printemps reposait sur la transparence, la démocratie, le collectif, et de nombreux électeurs ont le sentiment qu’elle n’a pas été tenue. Ils continuent de s’interroger sur les réelles motivations de Rubirola et sur le déroulé des faits. A quel moment a-t-elle décidé de ne pas être maire ? Les révélations de la presse ces derniers mois ont jeté le trouble. On a l’impression que la transparence est un mot d’ordre martelé mais peu appliqué, comme la promesse démocratique. Dans la mesure où Rubirola disait tenir son pouvoir d’un collectif, il aurait sans doute été pertinent pour ses électeurs d’avoir une discussion collective sur la marche à suivre. Or elle a simplement annoncé que Payan lui succéderait lors d’une conférence de presse.

Le problème, c’est donc le décalage entre le discours et les actes ?

On touche à quelque chose de classique : la contradiction entre la conquête et l’exercice du pouvoir, auquel le Printemps marseillais se confronte. C’est d’autant plus complexe que les espoirs soulevés étaient importants. La municipalité s’autonomise beaucoup par rapport à la base sociale qui l’a portée au pouvoir. Il y a des circonstances atténuantes : dans un contexte de crise, on peut entendre qu’il soit difficile de se payer le luxe d’être transparent et collectif, parce qu’on est contraint d’aller à l’essentiel. Mais il aurait fallu l’expliquer. C’est peut-être ce qui manque à cette majorité : des sous-titres politiques. Une nouvelle médiation entre le pouvoir et la société reste à inventer.

Cette démission a aussi des conséquences pour la gauche, qui a beaucoup cité le Printemps marseillais en exemple…

Il ne faut pas surestimer ce qui est avant tout une affaire marseillaise. Chacun lisait la situation locale au gré de ses intérêts nationaux. Mais je pense depuis le début que c’est une erreur d’ériger le Printemps marseillais en exemple national. D’après moi, le mouvement a pu se constituer grâce à un malentendu : personne ne croyait à la victoire, donc chacun a accepté de mettre ego et intérêts sous le boisseau en pensant préparer le coup d’après. La victoire repose sur beaucoup de paris qui rendent la gouvernance difficile.

Cet épisode ne montre-t-il pas, du moins, que l’exercice du pouvoir n’est pas une évidence pour les non-professionnels de la politique ?

Rubirola ne pensait pas et ne voulait pas devenir maire, elle n’en a jamais fait un mystère. Forcément, les gens qui n’ont pas envie d’exercer le pouvoir ne sont pas à l’aise là-dedans. Ça ne veut pas dire qu’il faille forcément des candidats formatés. On a des expériences de gestion qui s’appuient sur la société civile depuis longtemps. Depuis le mois de juin, il y a d’ailleurs d’autres villes où des non-professionnels de la politique sont aux responsabilités. On verra dans la durée comment ça évolue.