«"Et toi Chloé, tu fais quoi en ce moment ?" Je n'ai pas vu venir la question. D'habitude, je m'en sors très bien en allant fumer avant qu'on ne m'interpelle. Mais là, obligée de répondre, de sentir mon cœur s'emballer et de chercher une issue de secours.
«"Je suis toujours au chômage en fait. Mais j'ai beaucoup de chance d'avoir la mission locale pour m'aider. Et j'ai une idée de formation dans le secrétariat. Mais il faut que je trouve un stage pour que Pôle Emploi me finance ce projet." Voilà ce que j'aurais dû dire à mes amies ce soir-là. Au lieu de ça, j'ai bêtement souri en bredouillant quelque chose. Au même moment, j'ai senti les vibrations de mon téléphone. "Maman" s'affichait en grand sur l'écran, vite vite j'ai décroché sans même me soucier des autres.
«Dimanche, on fêtera l’anniversaire de mon frère. Ça me faisait plaisir rien que d’y penser. Au moins, on me parlera d’autre chose. Enfin, c’est ce que je croyais…
«"Dans le secrétariat ? ! Mais ça te plaît d'être gratte-papier ? En plus, t'auras un salaire qui ne volera pas haut et tu vas travailler toute ta vie pour un patron plus con qu'un balai." Ça m'a déprimée. D'autant plus que ma mère travaille là-dedans… Et j'étais contente d'avoir enfin une idée qui me pousse à me lever le matin.
«Non, je ne glande pas sur Netflix toute la journée à regarder toutes les séries qui existent. Mais après m’être forcée à postuler à au moins une offre d’emploi, il me reste beaucoup de temps libre pour cogiter. Et j’ai peur du regard des autres, de ce qu’ils vont penser. Alors c’est tout vu, rester chez moi c’est bien plus facile. Ce soir, mon copain veut qu’on aille s’aérer, il dit que ça me fera beaucoup de bien de sortir. Sur le chemin, il me raconte que le lendemain, au boulot, ils fêteront l’anniversaire d’un collègue. En plus, ils sont sur un projet hyper intéressant en ce moment. Je l’écoute déjà d’une oreille distraite. La chance qu’il a d’aller au travail…
«En général, je m’intéresse et j’arrive à lui répondre. Mais là je n’ai pas le cœur et je suis jalouse parce que demain il sera bien occupé. Heureusement, et c’est aussi pour ça que je l’aime beaucoup, il s’en rend compte et change discrètement de sujet tout en me serrant la main un peu plus fort. Ce geste me rassure, il me soutient.
«Souvent, dans la journée, j’ai tendance à me dévaloriser énormément et à culpabiliser. Est-ce qu’au regard de la société j’existe ? Oui j’existe, derrière ces lignes se trouve une fille de 25 ans qui se bat chaque jour pour sortir la tête haute de cet enfer qu’est le chômage.»