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Biens mal acquis

En dix ans, une trentaine de dirigeants ciblés

Grâce à la pugnacité d’ONG, d’anciens ou actuels chefs d’Etat kleptocrates, qui voyaient en Paris un eldorado pour l’argent qu’ils avaient détourné, sont désormais dans le collimateur de la justice.
Le 59 rue Galilé, dans le VIIIe arrondissement de Paris. (Cyril ZANNETTACCI/Photo Cyril Zannettacci. Vu pour Libération)
publié le 21 décembre 2020 à 18h51

Biens immobiliers de prestige, voitures de sport, bijoux de luxe, Paris a pour eux longtemps été une fête. Ils ont cru que l’impunité leur survivrait, mais non. Depuis plus de dix ans, les potentats de tout poil, dictateurs kleptocrates ou autocrates corrompus, maudissent la France, ses associations de lutte contre la corruption qui portent plainte, ses juges qui perquisitionnent et condamnent. L’angle d’attaque fait désormais mouche : dénoncer et confisquer les avoirs en France de ces dirigeants, le plus souvent acquis avec de l’argent détourné des caisses de leurs pays respectifs.

Et pourtant, ce n’était pas gagné : entre la première plainte visant les «biens mal acquis» des présidents du Congo-Brazzaville, du Gabon et de la Guinée équatoriale, et l’ouverture d’une enquête judiciaire, il a fallu trois ans, tant étaient fortes les réticences de la justice en général, et du procureur de la République de Paris en particulier, à mettre en cause des chefs d’Etat en fonction. Les ONG Sherpa et Transparency International, défendues par l’avocat William Bourdon, ont tenu bon. La Cour de cassation a fini par leur donner raison.

«Mission diplomatique»

Le bilan est prometteur : selon Chanez Mensous, de Sherpa, plus d’une dizaine de dossiers sont désormais ouverts par la justice, concernant autant des dirigeants actuels que passés en Egypte, en Tunisie, en Syrie, à Djibouti ou en Ouzbékistan - probablement une trentaine de personnalités ciblées. En mai 2020, l’argent détourné investi en France par Gulnara Karimova, la fille de l’ex-président ouzbek, a commencé à être rendu à l’Ouzbékistan sous la forme d’un premier chèque de 10 millions de dollars. Le 11 décembre 2020, la Cour internationale de justice de La Haye a rejeté la demande du vice-président équato-guinéen - et fils du président Teodoro Obiang -, visant à faire reconnaître comme «mission diplomatique» un immeuble de l’avenue Foch à Paris acheté avec des fonds détournés. Cette ultime manœuvre consistait à vouloir le rendre insaisissable par la justice française. Raté.

«La reconnaissance par la Cour internationale de justice que l'immunité diplomatique ne peut servir de protection, la confirmation de la condamnation du fils du président équato-guinéen par la cour d'appel de Paris, les confiscations non négligeables qui sont ordonnées, montrent que la justice a pris ses marques en matière de biens mal acquis», souligne Vincent Brengarth, avocat de Sherpa. La création par la loi de la présomption de blanchiment de capitaux, qui facilite les poursuites judiciaires, est un autre atout.

Sésame

Un écueil subsiste : l’attribution par le ministère de la Justice de l’agrément aux associations anti-corruption. Les plaintes déposées par une ONG munie de l’agrément adéquat sont recevables d’office mais le sésame s’avère parfois compliqué à obtenir. Ainsi, Sherpa a attendu en 2019 plusieurs mois avant qu’il soit renouvelé par Nicole Belloubet. Qu’en aurait-il été si Eric Dupond-Moretti, qui fut l’avocat du Congo, avait été ministre au moment du renouvellement ?