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interview

«Les incesteurs sont des hommes comme les autres»

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Pour l’anthropologue Dorothée Dussy, il ne faut pas voir l’inceste comme une pathologie, mais comme un mécanisme structurant de l’ordre social.
Pour l'anthropologue Dorothée Bussy, «l'incesteur considère que cet enfant est à sa disposition : il le soumet alors à son désir sexuel du moment.» (Photo Aurelia Frey. Plain Picture)
publié le 5 janvier 2021 à 20h56

L’anthropologue Dorothée Dussy, autrice de l’ouvrage le Berceau des dominations, anthropologie de l’inceste (épuisé, réédité chez Pocket en avril), a mené pendant des années des entretiens avec victimes et auteurs d’inceste.

Dans votre livre, vous évoquez la banalité de l’inceste et allez jusqu’à dire qu’il structure l’ordre social…

C’est tout le paradoxe d’un ordre social qui admet l’inceste mais l’interdit en théorie. Depuis soixante-dix ans en Amérique du Nord, en Europe, en France : il y a toujours la même prévalence d’abus sexuels sur mineurs au sein de la famille, qui va de 5 % à 10 % des enfants selon les enquêtes. Ce n’est pas une succession de petites conjonctures qui s’accumulent, plutôt un mécanisme structurant de l’ordre social. Il repose sur le silence autour des pratiques incestueuses : les enfants - et leurs proches avec eux - sont socialisés avec cette injonction au silence et la perpétuent une fois adultes. Elle se transmet ainsi de génération en génération.

Quels sont les mécanismes de cette loi du silence ?

On ne peut pas comprendre le fonctionnement de l'inceste si l'on s'en tient strictement à la relation entre l'incesteur et l'incesté : il faut aussi considérer ceux qui sont autour. L'incesteur - pas forcément le père, mais le beau-père, l'oncle, le cousin, le grand frère - est presque systématiquement un homme qui bénéficie d'une position dominante au sein de la famille. Elle est tout entière enjointe au