«Fermeture exceptionnelle ce jour.» Le message est sobre, écrit sur une feuille blanche collée sur le rideau de fer de l'agence Pôle Emploi du boulevard Ney, dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Deux jeunes femmes sont là pour l'ouverture. L'une d'elles est venue déposer une lettre, l'autre s'étonne de trouver portes closes. «C'est à cause de Valence», lui glisse la première. «Valence ?» s'étonne la demandeuse d'emploi. «Un homme a tué une conseillère…»
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Derrière la grille, on observe une agence presque vide, comme les 900 du territoire, fermées au public ce vendredi par décision nationale, qui a également appelé à respecter une minute de silence à midi. «Il faut laisser à nos agents le temps du recueillement», glisse-t-on à la direction générale. La veille, un homme a tué d'une balle dans le thorax une conseillère de l'agence de Valence, avant de se rendre dans son ancienne entreprise pour tuer une responsable DRH.
Quelques minutes plus tard, deux femmes un peu plus âgées se présentent boulevard Ney. Là encore, l'une est au courant, l'autre pas. «C'était partout aux infos !» explique la première. La seconde s'empresse de regarder sur son téléphone pour retrouver le fil de la tragédie de Valence, le parcours du tueur de l'agence à son ancienne entreprise. «Il faut vraiment être au bout du bout pour faire ça…» réagit-elle à chaud.
«Ça aurait pu être moi»
«La première réaction, c'est le choc, la sidération, témoigne Guillaume Bourdic, conseiller à l'agence de Concarneau en Bretagne. On a tous fait l'accueil à l'agence, on s'est tous identifié, on s'est tous dit "ça aurait pu être moi".» Ce représentant national de la CGT Pôle Emploi salue la décision de la direction de fermer les agences et d'élargir le télétravail pour cette journée particulière. «Tous les agents sont traumatisés dans ce genre de moment», précise-t-il en rappelant l'immolation par le feu d'un demandeur d'emploi à Nantes, en 2013.
Plusieurs conseillers contactés par Libération préfèrent ne pas s'exprimer publiquement, encore choqués par l'assassinat de leur collègue. Entre deux sanglots, ils disent vouloir prendre le temps de faire le deuil. Certains se sont déjà exprimés, notamment sur les réseaux sociaux. «Nous sommes une grande famille», témoigne une conseillère pour qui la mort de sa collègue est la «triste réalité d'une détresse aggravée». Certains ont changé leur photo de profil pour un logo de pôle emploi barré d'un bandeau noir en mémoire de la victime. Une autre dit avoir accroché un ruban noir directement à son badge, «pour ne pas l'oublier».
«On manque de moyens humains»
«Après l'émotion, on a besoin de comprendre, enchaîne Guillaume Bourdic, qui précise qu'il faut avant tout laisser la justice faire son travail. On parle évidemment d'un cas extrême, mais il y a des choses à faire pour améliorer l'accueil dans nos agences, pour pacifier la relation avec les demandeurs d'emploi.» Le syndicaliste s'indigne notamment du fait qu'il soit fait de plus en plus appel à des contrats courts pour gérer l'accueil des chômeurs. Des salariés moins formés et précaires, généralement dans l'incapacité d'apporter des réponses, ce qui crée plus de frustration qu'autre chose. «On manque de moyens humains. On met des travailleurs précaires pour répondre à des chômeurs dans la précarité, ça ne marche pas», souligne le délégué syndical.
Des choses dont il faudra discuter avec la direction générale, précise-t-il, «qui plus est avec la crise économique et sociale qui s'annonce». En attendant, des permanences ont été mises en place un peu partout pour permettre aux agents de Pôle Emploi de discuter, de demander un suivi, précise un représentant de la CFDT. Tous les conseillers sont appelés à respecter une minute de silence à midi, qu'ils soient chez eux ou en agence. «C'est important pour les collègues de Valence, conclut Guillaume Bourdic. Ils ne sont pas seuls.»