IL Y A À PEINE deux ans, Bill Clinton était élu sur un programme qui faisait pâlir d'envie la gauche européenne. A l'heure où les sociaux-démocrates d'Europe étaient en peine de donner un nouveau souffle à la gauche, Clinton offrait à une société américaine minée par l'explosion des inégalités d'«investir dans l'éducation», d'«investir dans la santé», c'est-à-dire rien moins que construire les bases d'une sécurité sociale «à l'européenne», universelle et gratuite. A tous les Européens convaincus des mérites de la sécurité sociale et de l'école républicaine, à tous les sociaux-démocrates lassés d'entendre vanter le reaganisme, il était doux d'entendre l'Amérique prendre l'Europe en modèle.
Deux ans passent. Aux élections de novembre , Clinton perd la majorité démocrate au Sénat et à la Chambre des représentants (événement sans précédent depuis quarante ans). Que s'est-il passé qui rendent les Américains si volatiles, et l'Amérique de Clinton si vite démodée?
A l'heure où les hommes politiques français s'interrogent sur leur propre capacité à engager des réformes, il n'est pas inutile de revenir sur l'expérience américaine.
Rappelons en quelques mots les données du problème. La société américaine a irrésistiblement creusé ses inégalités au cours des vingt dernières années. Tandis que près de 20% des travailleurs passaient en deçà du seuil de pauvreté au cours des années 1980, le salaire des travailleurs les mieux éduqués était accru de 30% relativement au salaire des ouvriers les