Les grèves ont été un formidable révélateur du malaise de la société française. Chacun a pu juger, grâce à elles, de la lassitude à l'égard d'une société dont la prospérité matérielle ne suffit plus à assurer le bonheur des gens. Pour ces raisons, la solidarité qui s'est exprimée en faveur des grévistes a réchauffé le coeur de ceux qui pouvaient s'inquiéter de voir la société française s'abandonner au triste choix du cynisme ou de la désolation. Applaudir, de ce point de vue, les événements de décembre, et se féliciter du ressort retrouvé d'une société en quête d'une vie publique enrichie, est une chose excellente, mais cela ne doit pas empêcher de critiquer l'ambiguïté du thème de la mobilisation sociale. On peut féliciter les grévistes du mouvement social qu'ils ont créé, et ne pas accepter d'assimiler, comme il a été fait, la grève à la «défense des acquis les plus universels de la République».
La Sécurité sociale qui a été défendue en décembre témoigne en effet d'une idée bien étriquée de la solidarité. Les deux tiers de la protection sociale fonctionnent en fait au service d'une seule catégorie: celle des retraités, à qui sont destinées les retraites elles-mêmes, et les trois quarts des dépenses de santé. Même si l'éducation figure nominalement comme le premier poste des dépenses de l'Etat, elle ne correspond en fait qu'à la moitié des dépenses de santé, et au tiers des dépenses de retraites. On connaîtra bientôt les sommes que le gouvernement s'apprête à mobiliser pour