Christophe Dejours est psychiatre et psychanalyste. Il dirige le laboratoire de psychologie du travail du Conservatoire national des arts et métiers. Il a récemment publié au Seuil Souffrance en France.
Vous dites que les gens souffrent parce qu'ils ont peur?
Oui, et c'est nouveau. La souffrance a évolué de façon très sensible en même temps qu'augmentaient les contraintes de travail et la menace du chômage. La précarisation de l'emploi a des effets beaucoup plus désastreux qu'on ne le croit sur ceux qui sont censés avoir un emploi stable. Plus l'effectif diminue, plus les restructurations s'accélèrent et plus la pression au travail est grande, même pour ceux qui ne sont pas directement menacés. Le management exige de plus en plus de résultats, de performances, et à tous les niveaux. Même l'ouvrier est jugé au nombre de pièces qu'il fabrique. Les gens ont peur de ne pas être à la hauteur, parce que celui qui ne l'est pas est incompétent. Ce n'est plus le travail qui est en jeu, c'est l'être. Du coup, ils en font toujours plus, dissimulent parfois leurs heures supplémentaires. Mais cet effort n'est pas récompensé parce que les critères d'évaluation, les formes d'organisation bougent tout le temps. Si bien que personne n'est plus en mesure de leur dire si ce qu'ils font est bien. Leur travail perd son sens. Il ne fait que les fatiguer, les faire souffrir.
Comment supportent-ils cette souffrance?
Ce qui est très frappant pour nous, cliniciens, c'est