Francis Jauréguiberry est chercheur au SET, Société Environnement Territoire, une unité de recherche du CNRS. Il a mené une enquête auprès de grands utilisateurs (professionnels) de téléphones portables (dernier article publié: «Télécommunications et généralisation de l'urgence», revue Science de la société, mai 1998).
Vous parlez de «nouveaux pauvres du portable» parmi les professionnels branchés. Qu'entendez-vous par là?
Au départ, seuls des cadres dirigeants, des hommes d'affaires et certains professionnels indépendants possédaient un téléphone portable. Puis, des cadres intermédiaires ont été équipés afin de réagir plus vite aux sollicitations. Enfin, des employés itinérants et certains techniciens n'ont désormais plus le choix: il leur faut rester branché toute la journée. Si bien qu'en l'espace de quelques années le téléphone portable a perdu son caractère de prestige pour se muer en simple outil de travail, souvent synonyme de corvée. Il oblige son détenteur à être à l'écoute constante d'une hiérarchie, à réagir immédiatement à tout appel, et fait entrer le travail dans l'espace-temps privé. Le stress qui en résulte produit en définitive le sentiment d'être dépossédé de son temps. Face à ces nouvelles formes de dépendance, une richesse inédite apparaît: celle de pouvoir se déconnecter des interpellations constantes, de prendre de la distance. Or, cette maîtrise crée des inégalités. Il y a ceux qui ont le pouvoir d'imposer aux autres une disponibilité d