Muzo, envoyé spécial.
C'est une plaie charbonneuse dans le vert tropical des collines. De ce flanc de terril sourdent cent ruisseaux d'eau noire qui charrient les poussières de roche pulvérisée vers le «rio Minero», nourrissant les rêves de l'armée de fantômes qui triture à grands coups de pelles le lit du fleuve.
A Muzo, ils sont parfois des milliers à se disputer les meilleures places quand Don Victor ordonne à ses bulldozers de donner un nouveau coup de rabot dans le crassier du haut. La Providence laisse alors échapper à la vigilance des mineurs quelques éclats de la pierre miracle que l'eau de rinçage emporte pour les offrir à la convoitise désespérée des «guaqueros», les chasseurs d'émeraude. «Les beaux jours sont finis», se plaint Lazaro Arango. Les bulldozers rouillent sur le parking: les cours de l'émeraude sont trop bas pour qu'on continue à extraire en grosses quantités. On se contente donc de forer quelques puits et d'y piocher un peu au hasard, comme on cherche le trèfle à quatre feuilles dans un champ de luzerne. Lazaro, 28 ans, paysan déplacé de son Arauca natal par la violence politique, s'entête avec quelques dizaines d'autres à forcer la chance, par 35 degrés à l'ombre, au fond du sillon creusé par le rio Minero. «Pourquoi partir? Et où aller? Ma femme et moi, nous attendons le retour de don Victor. Les beaux jours reviendront avec lui.» Joyau vert et serpent noir. Qu'est devenu Victor Carranza, 63 ans, le «tsar de l'émeraude» comme l'a surnommé la presse? L