Morlaix, envoyé spécial.
Les mains s'accrochent à de petites pancartes: «Butun Mad Butun Montroulez», le bon tabac c'est le tabac de Morlaix. Vendredi, la quasi-totalité des 172 employés de la «Manu» ont défilé sous une pluie battante. Depuis la décision de la Seita de transférer la fabrique de cigares bretonne à Strasbourg (Libération du 11 novembre), cigariers et cigarières n'ont qu'un sentiment: l'écoeurement. «Je travaille depuis vingt-sept ans à la Manu, dit une ouvrière. Ce n'est pas un travail facile, il faut suivre les cadences, mais on a toujours fait que ça. On lui a tout donné.»
Aux frontières du Trégor et du Léon, la Manufacture des tabacs n'est pas qu'une simple entreprise. C'est la mémoire de toute une ville. Construite en 1736 sur les bords de la Ria de Morlaix par ordre de Louis XV, pour compenser les difficultés du port de commerce, la Manu est l'un des tout premiers établissements de la Seita. Après les tabacs à chiquer et à priser, la fabrication de cigares y fait son apparition au XIXe siècle. L'entreprise compte alors jusqu'à 1800 employés, dont beaucoup de femmes, embauchées pour leur habileté à rouler les feuilles de tabac. De génération en génération, il n'est pas un autochtone qui, derrière les murs de pierre du sévère bâtiment, n'ait eu un proche à mouiller de sa sueur l'herbe à Nicot. Dans les années cinquante, après l'abandon de la confection des Gauloises brunes, les effectifs tombent à 800. Dès lors, ils ne cesseront de s'éroder. Le personnel de