C'est un véritable marché aux esclaves qui a pris forme dans un
quartier de Shenyang, l'ancienne capitale mandchoue, dans le nord-est glacial de la Chine. Près des maisons basses entourant un temple bouddhiste, qui a retrouvé ses sculptures détruites pendant la Révolution culturelle, des dizaines d'hommes sont alignés sur le trottoir. Autour du cou, ils portent une pancarte tenant par un bout de ficelle, annonçant leur spécialité (chauffagiste, électricien, maçon,etc.), et ils attendent" Dès l'aube, ces hommes de tous âges proposent ainsi leurs services à d'hypothétiques employeurs, près de magasins de matériaux de construction. Ils peuvent y rester jusqu'au soir, dix à douze heures d'attente souvent vaine, parfois récompensée d'un travail à un salaire de misère: 10 à 20 yuans (7 à 14 francs) la journée, sans le moindre recours.
Chômage, nouveau concept. Ces nouveaux damnés de la terre sont les grands perdants de la modernisation à marche forcée de la Chine communiste. Victimes des dégraissages d'entreprises publiques aux effectifs pléthoriques ou des faillites, un concept autrefois inconnu mais que le passage à l'«économie socialiste de marché» a légitimé. La Chine moderne a d'ailleurs inventé un mot à leur intention: xiagang, littéralement «celui qui est descendu de son poste», un terme bien plus politiquement correct que ceux de chômeur ou de limogé, qui portent en eux la marque de l'infamie. Leur statut n'est pas non plus le même: les xiagang conservent pendant deux ans d