Rome de notre correspondant
Jamais il n'a accordé d'interviews. Les Italiens ne connaissent de lui qu'une frêle silhouette parcourant à pied, chaque matin, les rues de Milan pour se rendre à son bureau, via Filodrammatici, siège de Mediobanca. Un rituel qui dura cinquante-quatre ans. Le dos courbé, avec son éternel costume et son pardessus noirs agrémentés, en hiver, d'un chapeau sombre, Enrico Cuccia, président d'honneur de la banque d'affaires, avait opté pour le silence. Sa mort hier matin, dans un hôpital milanais, a néanmoins provoqué une vive impression en Italie. Le chef du gouvernement Giuliano Amato a estimé qu'il avait représenté "ce qu'il y a de meilleur dans le capitalisme italien". Tous les journaux télévisés ont ouvert sur le décès, à 92 ans, de ce puissant "prince de la finance", qui fut au coeur du capitalisme italien pendant plus d'un demi-siècle.
Comme un maréchal d'empire économique, il aurait pu passer en revue ses partenaires qui furent parfois ses proies: Pirelli, Ferruzzi, Fiat, Olivetti, la Comit, la Banca di Roma, les assurances Generali... Tous ces fleurons de l'économie italienne avaient appris, bon gré mal gré, à fréquenter "les salons" de via Filodrammatici et la règle de son patron: "Les actions ne se comptent pas, elles se pèsent." Une manière abrupte de signifier que, dans le petit monde à l'ancienne de Cuccia, l'influence et le pouvoir n'étaient pas proportionnels au nombre de titres détenus. Forte de cette philosophie, Mediobanca a ainsi régné