Nairobi, de notre correspondant
Depuis l'aube, les alambics fument le long de la rivière Mathare. De rivière, la Mathare n'a pourtant que le nom. Le flot couleur plomb oxydé, qui coule entre deux berges d'ordures, arrose le bidonville homonyme, le plus grand d'Afrique, d'une eau si sale et si puante que, même ici, parmi les plus pauvres, «on n'oserait pas l'utiliser pour laver par terre». A Mathare, la rivière appartient aux bouilleurs de chang'aa, l'alcool distillé à partir de tout et n'importe quoi, qui rend aveugle et dont les alambics artisanaux refroidissent dans cet égout à ciel ouvert.
Au-dessus, dans les «structures», mi-cabanes, mi-maisonnettes en tôle et bâches plastiques qui s'étalent sur des kilomètres dans la vallée, et abritent plus de 200 000 personnes, l'eau se cherche ailleurs, à la sortie des rares robinets dont les riches possesseurs débitent cette fortune par jerricans de 20 litres, à des tarifs variant au rythme des restrictions. Or les coupures, ces derniers mois, sont devenues permanentes. Si, à Nairobi, l'eau et l'électricité manquent, à Mathare, ce sont des denrées rares. «Tout va très mal depuis que les coupures d'électricité ont commencé, il y a six mois. Les entreprises, en zone industrielle, ne tournent plus qu'une trentaine d'heures par semaine et beaucoup d'hommes de Mathare qui allaient y travailler ont été licenciés», explique Rosemary Njeri, 29 ans, de la deuxième génération d'habitants du bidonville créé dans les années 60.
Ironie, l'un des pl