Pierre Concialdi est économiste à l'Institut de recherches économiques et sociales (Ires). Il travaille particulièrement sur les bas salaires et les salariés pauvres.
L'Insee estime à 1,3 million le nombre de travailleurs pauvres. Que pensez-vous de cette estimation ?
C'est sans doute le chiffre le plus bas que l'on puisse avancer aujourd'hui. D'abord, parce qu'il repose sur une définition très restrictive du seuil de pauvreté. L'Insee le fixe à 3 500 F par mois, Eurostat (statistiques européens, ndlr) à 4 200 F. Or il est absurde de ne prendre qu'une seule référence. Les chiffres varient fortement d'un seuil à l'autre: on passe de 1,3 à 2,4 millions de personnes. Or, dans la réalité, les situations sont très proches. En plus, et comme le font les travaux américains, il faudrait aussi inclure les chômeurs. Il n'y a aucune raison de comptabiliser ceux qui travaillent au moins un mois dans l'année et d'écarter ceux qui n'ont pas travaillé du tout. Selon moi, ce sont tous des travailleurs, car ils sont présents sur le marché du travail. Au total, on arrive à plus de 3 millions de personnes. Soit presque trois fois plus.
Le phénomène des travailleurs pauvres est-il récent ?
La France semble découvrir aujourd'hui la pauvreté laborieuse, mais le phénomène n'est pas nouveau, même si le visage de cette pauvreté laborieuse a probablement changé. En 1968, des études chiffraient à 3,5 millions le nombre de travailleurs vivant en «zone de pauvreté». Ce n'est qu'à partir des années 80 qu'on